Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/45

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le trou de la cheminée aux pieds de sa tendre amie, plein de sang et de suie. Je ne vous parle ici que des moindres merveilles de ce roman, dont le style répond parfaitement à la dignité et au pathétique du fond.

Après cela, je ne vous conseille pas de lire ni Mahulem, histoire orientale[1], ni la Reine de Benni, nouvelle historique[2], ni Almanzaïde[3], histoire africaine. Tout cela, c’est de l’eau tiède auprès de notre Religieuse.

J’en dis autant des Lettres galantes et historiques d’un chevalier de Malte. L’auteur de cette rapsodie a un secret sûr pour se défaire des gens dont il n’a plus besoin. Il les envoie à la guerre en détachement. Ils sont blessés et crèvent. Le pauvre chevalier de Malte périt ainsi lui-même sur les galères de la religion, le tout pour désoler une pauvre maîtresse qui de désespoir prend le voile.

Célianne, ou les Amants séduits par leurs vertus, est un nouveau roman publié par l’auteur d’Élisabeth, autrement dit Mme  Benoist, volume in-12 de plus de deux cents pages. J’approuve fort qu’un auteur mette sur le titre de ses nouvelles productions la notice de ses péchés précédents. Quand je vois un roman fait par l’auteur de l’insipide Élisabeth, je suis dispensé de le lire. Ici les amants, séduits par leurs vertus, sont deux personnes mariées que l’attrait de leurs vertus réciproques porte à manquer aux engagements du mariage ; ou, sous une plume moins délicate que celle de Mme  Benoist, c’est la tendre et vertueuse Célianne prête à faire son mari cocu en faveur du vertueux Mozime. Mme  Benoist se flatte que son roman sera un puissant préservatif contre l’amour pour toutes les jeunes femmes de Paris ; et cet effet serait immanquable, si l’on pouvait leur persuader que l’amour est réellement aussi insipide que Mme  Benoist à le talent de le peindre.

En faisant passer toute cette cargaison de romans aux îles, on n’oubliera pas d’y joindre les Passions des différents âges, ou Tableau des folies du siècle, contenant quatre historiettes

  1. Par Marescot, 1766, in-12.
  2. Par le marquis de Luchet, 1766, in-12.
  3. Cette Almanzaïde n’était-elle pas une réimpression de la nouvelle du même titre, Paris, Barbin, 1674, in-12, dont Mlle  de La Roche-Guilhem était l’anonyme auteur ? (T.)