Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en un petit volume, savoir : le Jeune homme, le Vieillard, la Jeune fille, et la Vieille. Je crois ce détestable chiffon d’une certaine chenille appelée Nougaret[1].

Les Mémoires du marquis de Solanges, en deux volumes[2], sont ce qu’il y a de plus passable dans cet énorme fatras d’insipidités et de platitudes. Je ne sais qui est l’auteur de Rose, à qui nous les devons ; mais parmi les aveugles il est aisé à un borgne de faire le voyant, Je conseille à l’auteur de Rose d’épouser l’auteur d’Élisabeth, et de nous laisser en repos.

— Nous avons vu l’hiver dernier, sur le théâtre de la Comédie-Française, le début d’une Mlle  de La Chassaigne, qui avait choisi le nom de Sainval pour son nom de théâtre[3]. Cette actrice, pompeusement annoncée, n’a répondu à l’attente du public sur aucun point. En conséquence, elle a été renvoyée du théâtre au bout de quelques semaines. Une autre Mlle  Sainval vient de débuter avec un succès bien différent[4]. Son début a attiré beaucoup de monde à la Comédie, et elle a réuni presque tous les suffrages. Elle a joué successivement les rôles d’Ariane, d’Alzire, et celui d’Aménaïde dans la tragédie de Tancrède. On lui a trouvé de l’intelligence, de la chaleur et du pathétique, et elle a reçu dans tous ces rôles de grands applaudissements. Cette actrice vient de Lyon, où elle a joué quelque temps. On ne doute point qu’elle ne soit reçue, et comme nous sommes aussi prompts à nous flatter qu’à nous décourager, nos connaisseurs nous assurent déjà que, par cette acquisition, Mlle  Clairon sera remplacée. Je le voudrais. Je ne refuse pas à Mlle  Sainval du talent et de grandes dispositions ; mais elle à un grand inconvénient, c’est qu’elle est excessivement laide. On assure qu’elle n’a pas vingt-deux ans, et elle a l’air d’en avoir quarante au théâtre. On ne saurait dire que la douleur l’embellisse, car elle devient plus laide à mesure que la passion l’anime et se peint sur son visage. Il est vrai que sa chaleur, et quelquefois la vérité de l’expression, entraînent en dépit de la laideur ; mais je doute que chez une nation véritablement enthousiaste des beaux‑arts, et en particulier de l’art dramatique, aucun talent, aucun

  1. Nougaret était en effet auteur de cet ouvrage ; 1766, in-12.
  2. ar Desboulmiers ; 1766, 2 vol. in-12.
  3. Voir la note de la page 492 du tome VI.
  4. Voir la note précitée.