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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

NOVEMBRE.
1er novembre 1767.

Si je ne puis souffrir les livres élémentaires dans les arts et les métiers qui ne peuvent être appris que par la pratique, si je méprise les théories à perte de vue dans les choses que l’expérience seule peut enseigner, il n’en est pas de même des écrits qui traitent des objets de l’administration publique. Je crois, au contraire, ces écrits fort utiles, et je les regarde comme le moyen le plus sûr et le moins dispendieux que le gouvernement ait entre ses mains pour savoir la vérité. Ce n’est pas qu’on ne bavarde et qu’on ne déraisonne dans la plupart de ces écrits autant que dans les livres élémentaires ; mais dans les matières de discussion, il faut avoir passé par tous les déraisonnements possibles avant de pouvoir se vanter de les avoir éclaircies, et toutes les questions d’administration, toutes les opérations du gouvernement, ont besoin d’être discutées longtemps avant leur exécution. La vérité ressemble ici aux fruits dont la maturité ne commence que lorsque la saison est déjà bien avancée. Un ministre qui, en entrant en place, ferait défendre par une loi expresse, sous peine de vie, d’écrire sur les affaires du gouvernement et de l’administration publique commencerait son ministère par une loi aussi ridicule que dure. Il aurait, par ce seul trait, donné la mesure de son esprit et de ses talents ; il aurait annoncé le caractère de ses opérations, et pris, pour ainsi dire, d’avance des lettres patentes de son maître à l’effet de faire toutes les sottises impunément, et sans pouvoir être troublé par qui que ce soit dans la pleine jouissance, dans le plein exercice de sa médiocrité. Il y a cette différence essentielle entre l’homme public et l’homme privé que celui-ci, dans la conduite de sa vie, ne peut consulter que ses amis et que l’homme public, dans ses projets, peut et doit consulter tout le monde. C’est du choc des opinions que la vérité sort enfin étincelante de toute sa clarté, et le ministre qui ne veut pas qu’on écrive des sottises sur les opérations qui l’occupent est bien menacé d’en faire. Le cardinal de Richelieu dit quelque