Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
463
NOVEMBRE 1767.

part qu’il n’a jamais manqué, dans les occasions importantes, de consulter les hommes les plus bornés, ceux qui avaient une réputation bien méritée de n’avoir ni esprit, ni discernement, ni tête. Ils m’ont, ajoute-t-il, presque toujours suggéré des idées auxquelles un homme d’esprit n’aurait de sa vie pensé. Ce seul mot prouve mieux le génie de Richelieu que tous les éloges qu’on en a faits, et qu’on en fera aux réceptions de l’Académie française ; mais il ne faut pas être sot quand on veut tirer parti de l’esprit des sots, sans quoi il y aurait toujours un sot de trop dans le conseil.

Deux petits écrits qui viennent de paraître ont donné lieu à ces réflexions, ils ont tous les deux pour objet des questions qui intéressent la police publique. On a toléré l’un, et je crois que l’autre a été même protégé.

Le premier, qui traite de l’Administration des chemins, est de M. Dupont, membre de plusieurs sociétés royales d’agriculture, et l’un des piliers du mardi de M. le marquis de Mirabeau. On dit, monsieur Dupont, que vous êtes un jeune homme plein de mérite, plein de zèle pour le bien public, que vous avez de l’esprit et des connaissances ; ainsi je vais vous parler avec une entière franchise sur votre brochure.

Vous avez des vues fort justes. Il est barbare et contraire à tout principe de gouvernement de faire les grands chemins par corvée, en contraignant le laboureur de s’y transporter avec ses chevaux et ses outils à ses frais, et d’y travailler à la sueur de son corps et sans salaire. Il est clair que le mal qui résulte de cette tyrannie odieuse, établie dans la plupart de nos provinces, tombe directement sur la classe de citoyens la plus utile, et anéantit dans leur source les richesses de la nation. Vous avez très-bien fait sentir la différence essentielle qu’il y a entre les corvées féodales et ces corvées meurtrières, instituées depuis à l’imitation des premières. Mais pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Pourquoi insister sur l’utilité des grands chemins, dont personne ne doute ? Pourquoi nous prouver laborieusement que les propriétaires sont le plus intéressés à l’établissement des grands chemins et de leur entretien ? Cela saute aux yeux. Les consommateurs le sont aussi certainement ; car si un seul cheval suffit dans une belle route, lorsqu’il en faudrait trois dans une mauvaise pour le transport de la même