Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/49

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M. de Monsigny a mal justifié ces espérances : il n’a pas fait faire un pas à l’art. Son opéra de la Reine de Golconde est un opéra français dans toute la rigueur du terme, et je défie les plus grands rigoristes de lui reprocher la moindre innovation, la plus petite hérésie. Il en est arrivé une chose bien simple, c’est que M.  de Monsigny n’a contenté aucune classe de ses juges. Les amateurs de la musique l’ont abandonné aux vieilles perruques, qui ne lui ont pas rendu justice. Ce compositeur a oublié de faire une observation de la plus grande importance pour un musicien qui veut réussir : c’est qu’on vante la musique de Lulli, non parce qu’on la trouve réellement belle, mais parce qu’elle est vieille. Ainsi, tout homme qui travaille à s’approcher du vieux goût est sûr de déplaire même à ceux qui en sont les plus chauds défenseurs.

Sans être chargé des pleins pouvoirs d’aucun parti, je vais tracer ici quelques articles préliminaires, sans l’observation desquels je promets à M.  de Monsigny, et à tout compositeur qui voudra essayer un opéra français, qu’ils n’obtiendront jamais de succès durable. On ira toujours à l’Opéra, parce que l’oisiveté et le désœuvrement y conduiront toujours ; mais les gens de goût ne s’y plairont jamais.

Je dirai donc, en premier lieu, que la France n’aura jamais de spectacle en musique si l’on ne sépare pas distinctement l’air et le récitatif. Celui-ci ne doit point être chanté, il doit être une déclamation notée et parlée : cette déclamation doit tenir le milieu entre la déclamation ordinaire et commune et le chant, Quoique mesuré et soutenu d’une basse, le récitatif ne doit point se débiter en mesure ; il suffit qu’il soit ponctué avec justesse, et que les véritables inflexions du discours y soient bien marquées ; tout le reste doit être abandonné à l’intelligence de l’acteur. Je dis de l’acteur, et non du chanteur : le récitatif ne peut faire de l’effet que lorsque le poëte a fait une belle scène, et que l’acteur la joue bien,

L’air doit être réservé aux moments de situation, de chaleur, de passion, d’enthousiasme. Tout air doit être pour ainsi dire une situation, et c’est ainsi que l’illustre Metastasio l’emploie toujours, si vous en exceptez les airs qui renferment un tableau ou une comparaison ; et j’avoue que je retrancherais volontiers ce dernier genre d’airs de la musique théâtrale.