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NOVEMBRE 1767.

en garantir un père innocent et vertueux, est-ce un trésor pour la poésie, comme le dit et pense M. Marmontel ? Est-ce là un sujet à traiter sur nos théâtres ? Je ne le crois point. Malheur à la nation ou un fils peut faire de tels actes d’héroïsme et de piété, et qui ne sait pas mettre les vertus héroïques de ses citoyens à d’autres épreuves plus nobles et plus glorieuses pour la patrie ! Ah ! que m’apprendra l’exemple de ce fils généreux, qui se voit dans l’alternative, ou de se dévouer à l’opprobre, ou d’y voir succomber son père, et qui ne balance pas ? Il m’apprend qu’un jésuite à jamais exécrable a pu persuader à un roi présomptueux et nourri dans la superstition qu’il avait le droit d’asservir la pensée, de devenir le tyran le plus cruel d’une partie de ses sujets, de les traiter comme il n’aurait osé traiter ses ennemis, et d’infliger à son royaume une plaie que toute la sagesse de ses successeurs tenterait en vain de guérir. À moins donc que de tels sujets traités par les poëtes, représentés sur les théâtres, ne servent à faire détester à une nation des lois horribles qui subsistent encore et sont en vigueur au milieu d’elle, et qui lui serviront de monument de honte auprès de la postérité, à moins qu’ils ne hâtent le renversement de ces lois abominables, je ne vois pas à quoi pourraient servir de tels spectacles. Ils flétriraient les âmes au lieu de les élever. Aucun cœur honnête ne pourrait se défendre ni d’un sentiment pénible de découragement, en voyant l’innocence exposée à être confondue avec le crime, ni d’un sentiment affreux de haine pour le gouvernement de son pays, à qui il verrait créer des crimes imaginaires afin d’avoir à punir des coupables. Encore si le rare exemple de la piété de ce fils eût fait une telle impression sur les peuples qu’il en fût résulté une révolution soudaine, et qu’une province entière eût massacré ou chassé tous ses prêtres, afin d’être défaite une bonne fois des auteurs et des fauteurs de pareilles lois, je sens que le sujet commencerait à devenir digne de la poésie. Mais quand tout l’effet de l’héroïsme de ce fils se réduit à lui rendre les droits d’un citoyen obscur avec quelque récompense pécuniaire, il faut pleurer sur le sort de ce héros, et, par pitié pour les hommes, il faut travailler à leur dérober la connaissance de ce fait déplorable. Je crois donc que M. Fenouillot a très-mal fait de choisir ce héros pour celui de sa pièce. Il avait envoyé son drame à