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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

M. Garrick, espérant qu’il pourrait être traduit et représenté à Londres[1] ; mais cet illustre acteur a très-sagement répondu qu’il n’y avait point de forçats en Angleterre, qu’on n’y condamnait point aux galères des citoyens honnêtes pour être attachés à une religion qu’ils regardent comme vraie et bonne, qu’aucun enfant d’Angleterre ne pourra jamais se vanter de se dévouer à l’ignominie pour un père innocent et vertueux, et que, par conséquent, le sujet de cette pièce paraîtrait en Angleterre aussi peu intéressant qu’incroyable.

Si la politesse avait permis à M. Garrick de parler à M. Fenouillot avec une entière franchise, il aurait pu ajouter qu’au tort d’avoir mal choisi son sujet, il a associé le tort d’ignorer parfaitement ses forces et quid ferre récusent, quid valeant humeri.

M. Fenouillot non-seulement n’a point de chaleur, ni de sentiment, ni de pathétique, mais il n’a pas l’ombre de talent, ni pour la poésie en général, ni pour le théâtre en particulier. Jamais auteur n’a fait preuve plus complète d’incapacité. Un style faible, incorrect, trivial et plat, ne lui a pas permis de rencontrer un seul vers passable dans tout le cours de sa composition, et il y en a un grand nombre d’incroyables. Nulle vie, nulle sève, nulle apparence de couleur. L’inanition et la platitude règnent dans toute l’étendue de cette pièce misérable. Elle ressemble, pour l’ordonnance, à une de ces froides et maussades comédies de Pierre Corneille, dont la scène est sur la place Royale, excepté que M. Fenouillot ne fera jamais le Cid ni Polyeucte après sa mauvaise pièce.

Il est vrai que, même dramatiquement parlant, l’action de ce fils vertueux ne peut fournir un sujet pour le théâtre : car où en seraient les situations et les incidents ? Mais un homme de génie en aurait du moins montré dans l’arrangement de sa fable, et ne serait jamais tombé dans la pauvreté imbécile de M. Fenouillot. Chez lui, le tiers de la pièce se passe à arranger le mariage de M. le commandant des galères, qui ne tient pas plus à ce sujet qu’a aucun autre, et qui donne lieu à l’auteur de débiter mille platitudes sur le préjugé de la naissance. Pendant

  1. La lettre de Fenouillot, et la chaleureuse apostille dont Diderot l’avait fait suivre, figurent t. XIX, p. 488 de l’édition Garnier frères.