Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
487
NOVEMBRE 1767.

de la faveur secrète ou publique, plus ou moins forte, de tout ce qui s’appelle honnêtes gens. Les plus zélés d’entre les catholiques, à moins qu’ils ne soient prêtres, — car comment la pitié et la justice entreraient-elles dans l’âme d’un prêtre ? — les meilleurs catholiques, dis-je, désapprouvent et détestent dans leur cœur les injustices et les cruautés qu’on exerce envers les protestants. Le vœu général, du moins dans la capitale du royaume, est pour la tolérance ; la fermentation sourde qu’on remarque dans toutes les têtes annonce que ce vœu est près de s’échapper et de briser les barrières que d’antiques préjugés lui opposent encore.

Depuis que j’ai écrit ceci, j’ai appris quelques particularités touchant M. Fabre, qui a servi de héros à M. Fenouillot. Il a été condamné en 1756, sous le commandement de M. le duc de Mirepoix. Les assembles du désert étant devenues très-fréquentes, on jugea à propos de faire un exemple. On détacha des dragons pour enlever quelques protestants sur les grands chemins au retour de leurs exercices de piété. On prit le père de ce M. Fabre et un autre protestant. Son fils avait eu le bonheur de se sauver à temps et de se dérober à la poursuite des dragons ; mais voyant son père atteint et pris, il sortit de son asile, se jeta aux pieds du sergent qui commandait le détachement et obtint de lui, à force de prières et d’argent, de laisser aller son père et de l’accepter à sa place. Ces faits furent exposés six ans après, en 1761, à M. le duc de Fitz-James, successeur de M. de Mirepoix. On intéressa la compassion de Mme la duchesse de Fitz-James, qui se mit à solliciter de toutes ses forces. Je tiens de la bouche de M. le duc de Fitz-James qu’au bout de six mois de sollicitations on vint dire à Mme de Fitz-James que M. Fabre était sorti des galères, et qu’il se trouvait à Nîmes ; qu’elle crut alors devoir remercier M. le comte de Saint-Florentin d’avoir accordé cette grâce ; mais que ce ministre lui répondit qu’il ne savait ce qu’elle voulait dire, qu’il n’avait accordé ni compté accorder cette grâce, et qu’il ferait enlever et remettre cet homme aux galères ; que cette lettre obligea Mme de Fitz-James de faire avertir le héros de la piété filiale de se tenir caché afin d’éviter un nouveau malheur, et qu’après de longues et vives sollicitations elle eut enfin la satisfaction d’obtenir la grâce de cet infortuné, et même celle de son compagnon qui