Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/66

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l’arbre de la littérature, et qui le mangeront enfin jusqu’à la racine. On a donné, l’année dernière, l’Esprit de M.  Nicole[1], moraliste dévot et célèbre parmi les aigles du Port-Royal du siècle précédent. Il y a des réputations bien étranges ! Je soutiens que si les Essais de morale de M.  Nicole paraissaient aujourd’hui, ils n’auraient aucun succès. Leur platitude, leur trivialité, leur tristesse, les feraient mépriser de tout homme instruit et sensé. Mais on l’était si peu, dans ce beau siècle de Louis XIV, que les plus pauvres d’esprit, portés par un parti, avaient le plus beau jeu du monde avec un public ignorant et ne connaissant d’autre philosophie que celle de son catéchisme. Lisez, je vous supplie, dans les Essais de Nicole, le chapitre des personnes sèches et de la manière dont il faut les supporter, et vous verrez un persiflage d’une platitude et d’un ridicule incroyables, et dans lequel un jeune libertin trouverait cent sottises et cent équivoques.

— On a publié depuis peu les Pensées de Pope, avec un abrégé de sa vie, extrait de l’édition anglaise de ses Œuvres[2]. Volume in-12 de plus de trois cents pages.

— On vient de donner aussi l’Esprit de mademoiselle de Scudéry, en un volume in-12 de cinq cents pages[3]. Vous croyez bien que le chapitre de l’amour doit occuper une place considérable dans l’Esprit de mademoiselle de Scudéry ; aussi tient-il la moitié du livre. Si les Essais de M.  Nicole déposent de la pauvreté de la morale du siècle précédent, les ouvrages de Mlle  de Scudéry, et la vogue qu’ils ont eue, peuvent en constater le mauvais goût. On connaît le faux bel-esprit, le précieux et l’affectation de l’hôtel de Rambouillet, et le respect imbécile que le public avait pour lui ; Mlle  de Scudéry y jouait un grand rôle. On y décidait avec un air important et grave des questions bien insipides et de grandes pauvretés. Vous trouverez plusieurs de ces questions dans le recueil dont nous parlons. Par exemple : Lequel marque le plus d’amour, ou de s’en taire, ou d’en parler, ou des soupirs ou des larmes ? Lequel donne plus de satisfaction à un amant, de louer sa maîtresse ou d’en être loué ? Auquel paraît le plus le pouvoir

  1. Par l’abbé Cerveau, 1765, in-12.
  2. Par Lacombe de Prezel, 1766, in-12.
  3. Par de La Croix, 1766, in-12.