Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/68

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celui de laboureur, ou de vigneron, ou de jardinier ; et on a eu raison, car les gens de la pièce ne sont pêcheurs que parce que l’auteur le veut ainsi, et cela ne fait ni froid ni chaud, ni à l’intrigue, ni au dénoûment, ni même aux détails, ce qui est inexcusable. Cependant, malgré tout ce qu’on peut dire, cette pièce n’était pas assez mauvaise pour qu’on ne pût lui faire grâce en faveur de la musique charmante de M.  Gossec. Il y a là une foule d’airs qui peuvent soutenir le parallèle de tout ce qu’on a fait de mieux en ce genre en France ; et une nation passionnée pour la musique ne marchanderait pas tant sur une pièce qui n’a dans le fond rien de choquant. Il faut même dire que si M.  de La Salle est sans invention, sans, verve, sans force comique, il sent, en revanche, assez bien le rhythme des vers qu’il faut pour les airs, et dont, excepté M. Anseaume, aucun de ceux qui se sont exercés dans ce genre ne se doute. La petite brochure de M.  le chevalier de Chastellux, sur l’union de la musique et de la poésie[1], n’a pas fait une seule conversion. Mais c’est encore plus aux acteurs qu’au public qu’il faut attribuer le mauvais succès des Pécheurs. Je ne sais pourquoi M.  Caillot et M.  Clairval n’ont pas daigné jouer dans cette pièce. Un musicien qui débute d’une manière aussi brillante que Gossec méritait assurément d’être encouragé ; et il faut ou que messieurs de la Comédie-Italienne n’aient pas senti le mérite de cette musique, auquel cas ils seraient des juges bien ineptes, ou qu’ils ne se soucient pas de faire réussir un jeune musicien qui pourrait leur procurer d’autres succès, auquel cas ils n’entendent guère leurs intérêts. Le parterre, qui ne s’entend nulle part moins en musique qu’en France, juge du cas qu’il doit faire d’une pièce d’après celui que les comédiens en font eux-mêmes. Quand il voit arriver les mauvais acteurs, et qu’il sait que les bons n’ont pas jugé à propos de se charger des rôles de la pièce, il la tient pour détestable, et au premier mot équivoque, plat ou froid, elle est sifflée. Il y a là un certain Trial qui double Clairval dans les rôles d’amoureux, et qui, à lui tout seul, serait capable de faire tomber la meilleure pièce. M.  Gossec, originaire d’Anvers, est en France depuis dix ou douze ans,

  1. Essais sur l’union de la poésie et de la musique, 1763, in-12.