Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/79

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excellence, tant vantés, parce qu’on suppose, assez légèrement à mon gré, qu’ils se gouvernent bien sans religion, à tolérer que les pères sacrifient les enfants qu’ils croient ne pas pouvoir nourrir. Mon principe, sur quelque matière que ce soit, est de ne regarder comme bon que ce qui peut contribuer au bonheur des hommes. La grande population du Nord, à laquelle on doit ce débordement de barbares qui ont désolé l’Europe pendant tant de siècles, a-t-elle fait le bonheur de l’humanité ? La grande population de la Suisse ne contraint-elle pas la moitié de ceux qui y naissent de quitter ce beau pays de liberté pour aller, à six sous par jour, recevoir des coups de bâton dans les États monarchiques, même dans ceux où il n’est pas d’usage d’en donner aux nationaux ? J’en conclus que, quand il y a assez de population pour se défendre sur son terrain et le conserver, il serait plus nuisible qu’utile à l’humanité qu’elle augmentât. Il y a donc des temps où il peut devenir avantageux que le nombre des moines, c’est-à-dire des célibataires les moins dangereux pour l’honnêteté et la tranquillité publiques, fût augmenté. C’est au gouvernement, en cela comme en bien d’autres choses, à lâcher ou à serrer les rênes. Je dis plus : c’est qu’ayant prouvé, par les objections mêmes qu’on fait contre les moines, que les terres qui dépendent d’eux sont mieux cultivées que si elles appartenaient à des particuliers, ils contribuent en cela à la population plus qu’ils ne pourraient faire par eux-mêmes s’ils étaient répandus dans la société.

Quant à l’oisiveté des moines, second point sur lequel on établit le reproche d’inutilité qu’on leur fait, commençons par retrancher d’une communauté de vingt religieux trois hommes au moins, nécessaires pour régir le bien et qu’il faudrait que ceux à qui il appartiendrait employassent uniquement à cet usage. Otons encore cinq ou six vieillards de qui on ne devrait plus rien exiger, quelque état qu’ils eussent embrassé. Reste, sans avoir encore égard à la décence du culte, matière sur laquelle j’avoue que je ne pense point du tout comme bien des gens, dix à douze hommes inutiles, c’est-à-dire, à parler plus exactement, qui ne travaillent pas plus pour la société que ne feraient ceux à qui appartiendrait le bien de la communauté, si on le répartissait dans cette société. Car que fait dans le