Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/88

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Cette consultation, faite avec le plus grand ménagement et la plus grande simplicité, attendrirait le cœur le plus barbare. Le Parlement, qui s’en est trouvé choqué, a voulu la supprimer juridiquement : il a mandé les avocats qui l’ont signée, et M.  le premier président a été chargé de les tancer sévèrement ; mais M. Gerbier a pris la parole, a défendu la conduite et les droits de ses confrères et les siens, et a déclaré que s’il y avait la moindre démarche juridique de faite contre cette consultation, tous les avocats étaient résolus de quitter le barreau. Cette déclaration a arrêté les procédures du Parlement ; mais toute l’édition de la consultation a été enlevée sous main, et il n’a plus été possible d’en trouver des exemplaires. On a réussi, par ces mesures, à étouffer cette horrible affaire dans le public. Paris s’en est peu occupé ; le plus grand nombre n’en a jamais su au vrai les détails. On en a parlé un ou deux jours ; et puis, comme dit M.  de Voltaire, on a été à l’Opéra-Comique, et cette atrocité a été oubliée avec beaucoup d’autres. Les âmes sensibles ne l’oublieront jamais, et désireront toujours avec ardeur qu’elle soit transmise à la postérité comme un monument déplorable de la perversité des hommes, et que le nom des auteurs de cette cruauté demeure connu et plus justement flétri que celui du jeune Moisnel et de ses complices, qui viennent d’être mis hors de cour après avoir été blâmés et déclarés infâmes.

Voilà les premiers fruits que nous recueillons du livre des Délits et des Peines. On dirait qu’à chaque réclamation un peu remarquable des droits de l’humanité, le génie de la cruauté se déchaîne, et, pour en faire sentir l’inutilité, suggère à ses suppôts de nouveaux actes de barbarie. L’historien du comté de Ponthieu[1] rapporte qu’en 1706, un riche habitant d’Abbeville laissa par testament tout son bien à Louis XIV, à condition de l’employer à une croisade. Si jamais il fait une seconde édition de son Histoire, je lui conseille de joindre à ce trait d’un fanatisme particulier celui d’un fanatisme public, dans l’assassinat juridique du chevalier de La Barre. Il n’oubliera pas de remarquer que les deux chansons mentionnées au procès, dont l’une n’est qu’ordurière, sont connues depuis plus de cent ans, et se

  1. L’historien du comté de Ponthieu se nommait Devérité ; il était libraire à Abbeville ; son ouvrage a pour titre : Histoire du comté de Ponthieu et de la ville d’Abbeville, 2 vol. in-12. (B.)