Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/89

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chantent dans toutes les villes de garnison, où la discipline la plus sévère ne peut contenir la licence soldatesque sur des objets de cette espèce. C’est un garçon perruquier, excité par le monitoire, qui a déposé avoir entendu le chevalier de La Barre fredonner ces chansons le matin à sa toilette pendant qu’il le coiffait.

— Feu le comte de Caylus avait entrepris, tant par ses propres recherches que par des prix fondés à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de couler à fond tous les monuments historiques de l’Égypte. Un jeune homme de Berne, appelé M.  Schmidt, et attaché actuellement à la cour de Bade‑Dourlach, à remporté successivement huit ou neuf de ces prix, ayant tous pour objet l’explication de quelque usage, quelque cérémonie, quelque vêtement égyptiens. Je crois que l’Académie n’avait pas beaucoup de peine à se décider entre les différents concurrents pour le prix d’Égypte, et que M.  Schmidt était, la plupart du temps, le seul combattant dans un terrain si aride. Il vient cependant de s’élever un rival déterminé contre M. Schmidt ; et tandis que celui-ci était couronné pour avoir expliqué l’habillement des anciens rois d’Égypte avec plus de détails que n’en aurait pu donner le premier tailleur de la cour de Memphis, M.  Ameilhon remportait un autre prix pour avoir fait l’histoire du commerce et de la navigation des Égyptiens sous le règne des Ptolémées. Cet ouvrage vient de paraître en un volume in-8o de trois cents pages. M.  Ameilhon est garde de la Bibliothèque de la ville de Paris[1]. Il ne disputera pas longtemps les prix égyptiens à M.  Schmidt, car, si je ne me trompe,

  1. Né en 1730, Ameilhon est mort en 1812. Reçu à l’Académie des inscriptions en 1766, il fut, sous l’Empire, membre de l’Institut. « Un jour, dit Mme  de Genlis dans ses Mémoires, t. V, p. 233, un jour qu’il faisait partie d’une députation, et qu’il allait pour la première fois chez l’Empereur avec un désir ardent d’en être remarqué et d’en obtenir quelques mots, en passant, il se mit très en vue dans la salle d’audience ; l’Empereur, en effet, apercevant une figure qu’il ne reconnaissait qu’imparfaitement, s’approcha de lui en lui disant : « N’êtes-vous pas M.  Ancillon ? — Qui, sire… Ameilhon. — Ah ! sans doute bibliothécaire de Sainte‑Geneviève ? — Oui, sire… de l’Arsenal. — Eh ! je le savais, vous êtes le continuateur de l’Histoire de l’Empire ottoman ? — Oui, sire… de l’Histoire du Bas-Empire. » À ces mots, l’Empereur, s’impatientant lui-même de ses méprises, lui tourna brusquement le dos ; et M.  Ameilhon, ne sentant que l’honneur et la joie d’avoir arrêté quelques minutes près de lui l’Empereur, se pencha vers son voisin, en lui disant avec emphase : L’Empereur est étonnant ! il sait tout. (T.)