Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/94

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soutenait quelquefois que Tibère avait été un fort honnête homme, que Néron n’avait eu d’autre tort que d’être un peu trop petit-maître et de s’être rendu odieux aux Romains par son affectation et sa passion pour les mœurs grecques, je l’écoutais avec le plus grand plaisir, parce qu’il savait soutenir sa thèse avec tant d’esprit et même de génie qu’elle en devenait très-intéressante, sans compter qu’abstraction faite du fond, il y avait infiniment à profiter d’une foule de connaissances dont ce fond était relevé. M.  Linguet veut jouer le même rôle ; mais il faudrait avoir pour cela le génie de l’abbé de Galiani. Il veut décrire Tacite et les philosophes, il traite Suétone comme un polisson, et l’on n’a pas seulement envie de lui rien disputer. On bâille, et on le laisse dire. Il nous prouve laborieusement que c’est très-improprement qu’on attribue à Rome dans les plus beaux jours de sa gloire l’empire du monde, et qu’elle n’en dominait qu’une très-petite partie en comparaison du tout. Belle découverte ! Et il ne remarque pas seulement combien la grandeur et l’élévation de ces idées devaient produire d’effets surprenants. Je souhaite le bonsoir à M.  Linguet auteur, et beaucoup de bonheur à M.  Linguet avocat et à ses clients.

M.  de Sartine, lieutenant général de police de cette capitale, s’est particulièrement occupé depuis quelque temps des moyens de mieux éclairer Paris pendant la nuit. La sûreté de cette ville immense dépend en grande partie de ce service, et il est digne d’un magistrat rempli de zèle et de bonnes vues de s’occuper de cet objet. On a fixé un prix de deux mille livres en faveur de celui qui trouverait la manière la plus avantageuse d’éclairer Paris, et pendant tout l’hiver dernier le concours de ceux qui ont proposé leurs essais a duré en différents quartiers de la ville. Paris a été jusqu’à présent on ne peut pas plus mal éclairé ; les arts les plus utiles comme les moins nécessaires ne se perfectionnent qu’à la longue. Je pense que la méthode de suspendre les lanternes par des cordes au milieu de la rue est essentiellement vicieuse, parce que dans les temps d’orage et d’ouragan, c’est-à-dire dans les moments où l’obscurité du ciel rend les lanternes le plus nécessaires, il arrive que le vent les ballotte et les éteint toutes. Je vois avec chagrin que, malgré cet inconvénient insurmontable, on donnera dans les nouveaux essais la préférence aux lanternes ainsi suspendues,