Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

M. de Moissy n’a pas vu qu’il détruirait par cette petite circonstance tout le but moral de sa pièce. Il n’a pas fait une autre réflexion tout aussi simple. Vous êtes sans doute déjà dans son secret ; vous avez sans doute prévu depuis longtemps que lorsque le chevalier se rencontrerait enfin, dans le cours de la pièce, avec Mme d’Origny, il reconnaîtrait en elle l’objet de ses premiers feux pour lequel il se refusait actuellement au mariage avec Mme d’Origny, et que celle-ci retrouverait également dans le chevalier ce jeune inconnu qui lui a fait une impression si durable, et à cause duquel elle ne veut épouser ni l’un ni l’autre des Fontaubin. Ce secret a été démêlé dès le commencement de sa pièce, et n’a échappé à aucun spectateur ; M. de Moissy, qui s’en doutait, a seulement éloigné la rencontre des deux amants autant qu’il lui a été possible, et ils ne se joignent pour la première fois qu’à la fin du quatrième acte. Mais il n’est pas aussi heureux dans ses calculs chronologiques que dans les empêchements qu’il sait mettre aux rencontres. Depuis le coup de sympathie qui a uni ces deux cœurs, à leur première entrevue fortuite, il lui a fallu un assez long intervalle, d’abord pour marier Mme d’Origny, ensuite pour lui reprendre le mari qu’il lui avait donné, en le faisant mourir de sa mort naturelle, ce qui prend toujours du temps ; ensuite pour lui faire passer au moins son année de veuvage, pendant laquelle il n’aurait pas été décent à son oncle de faire un testament qui l’oblige d’épouser un Fontaubin sous peine de perdre vingt mille livres de rente ; enfin, pour faire faire ce testament, pour tuer l’oncle testateur et porter à la connaissance des nièces cette clause d’un legs conditionnel de vingt mille livres de rente. M. de Moissy a pris pour tous ces événements un espace de sept à huit ans ; ce n’est pas trop. Mais il en résulte que lorsque le jeune chevalier et l’objet de sa passion ont ressenti le pouvoir de l’amour à leur première rencontre, ils avaient chacun de dix à onze ans : c’est se passionner de grand matin ;

Ma valeur n’attendMais aux âmes bien né
La valeur n’attend point le nombre des années.

Voilà ce que M. de Moissy vous répondra, si vous trouvez que le cœur de la jeune veuve et celui du petit chevalier ont été en valeur de bonne heure. À parler sérieusement, rien ne décèle