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AOUT 1768.

de se persuader qu’il a gagné son procès en ce dernier et faible ressort. On dit qu’il a besoin de cette consolation, et que la chute de sa pièce lui a fait une impression si terrible qu’il court risque d’en mourir. C’est un mauvais métier que celui d’un poëte qui n’est pas commandé, subjugué, tourmenté par son génie, ou qui prend de fausses douleurs pour les douleurs de l’accouchement ; il est bien triste d’en mourir. La chute que M. de Moissy a faite lui a donné de l’humeur. Il parle dans sa petite préface des gens « qui prennent les sujets de leurs drames dans les œuvres du théâtre des étrangers, qui devraient peut-être se modeler sur nous dans ce genre, plutôt que de nous rendre leurs imitateurs ». J’observe d’abord à M. de Moissy que cela est longuement et platement dit ; je lui rappelle ensuite le proverbe, qu’il ne faut pas jeter des pierres dans le jardin de son voisin quand on a une maison de verre. Le succès du Joueur n’a pas rendu M. Saurin insolent, au contraire il a conservé le ton de la plus grande modestie ; pourquoi donc l’attaquer quand rien ne vous y oblige ? Cela n’est pas honnête, et quand on vient de tomber comme M. de Moissy, cela est encore maladroit. Ce poëte infortuné aurait des plaintes mieux fondées à faire de mon extrait s’il parvenait à sa connaissance. Premièrement, j’ai dit que Mme d’Origny et Dorimène étaient sœurs, et elles ne sont que cousines ; ce ne sont pas deux sœurs, mais deux cousines qui ont à se décider sur le legs de vingt mille livres de rente et sur le choix d’un époux dans la personne d’un des Fontaubin. En second lieu, cette cousine de Mme d’Origny ne s’appelle pas Dorimène, mais Orphise. Je savais bien qu’il y avait de l’o dans son affaire. J’avais remarqué que l’auteur, par une prédilection particulière pour cette voyelle, en avait conservé le son dans tous les noms de ses personnages. Le grand-père s’appelait Oronte ; le père et les deux fils, Fontaubin ; la jeune veuve, Mme d’Origny ; sa cousine, Orphise ; la suivante, Laurette ; le valet, Frontin. Cette misère n’est pas sans conséquence, elle a sûrement beaucoup contribué à augmenter la cacophonie du style ; et je parie que le compositeur d’imprimerie a dépensé plus d’o dans la composition de cette pièce que son étendue n’en devrait comporter. Au reste, j’ai encore commis quelques autres fautes dans mon extrait, et j’en demande pardon à M. de Moissy. Le sort m’avait placé à côté du sage Sedaine ; mais