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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

nous étions entourés d’une nuée d’étourneaux beaux esprits qui disaient leur sentiment à tort et à travers, et qui nous empêchaient souvent d’entendre. Ce qui me fâche, c’est d’avoir appris par la lecture que leur pétulance nous a bien dérobé quelques platitudes, mais ne nous a fait perdre aucune beauté. J’aurais eu grand plaisir à faire assigner les Dorat, les Chamfort, les Barthe, les Rulhière, et à les faire condamner en dommages et intérêts envers ce pauvre M. de Moissy ; mais malheureusement je suis obligé de m’en tenir avec le public irrévocablement à ce que j’ai dit sur sa pièce.

M. Lemierre a aussi pris le parti de faire imprimer sa tragédie d’Artaxerce, qui a eu quelques faibles représentations il y a environ deux ans, et qui est balayée du théâtre à perpétuité. Il dit, dans un avertissement de neuf lignes, que sa pièce n’a de commun avec celle du célèbre Metastasio que le sujet et la catastrophe ; rien n’est plus vrai. Aucun homme de goût ne lui reprochera jamais d’avoir de commun avec Metastasio la grâce et le coloris des expressions, le charme et la douceur du style. Au surplus, M. Lemierre nous avertit qu’il a toujours tâché de fondre ses préfaces dans ses pièces ; il devrait donner ce secret à ses confrères, et particulièrement à M. Dorat. Je sais à M. Lemierre un gré infini de cette méthode ; elle me dispense de lire ses préfaces, car je ne me sens nulle vocation à lire son Artaxerce. Je m’en tiens aussi irrévocablement à ce que j’en ai dit lors de sa représentation discours beau sans doute et victorieux, mais

 
Dont très-heureusement je ne me souviens plus[1].


M. Lemierre ne court pas risque de mourir de ses chutes comme M. de Moissy ; Dieu lui a accordé la conviction intérieure et entière de son mérite, qui fait qu’on se passe aisément des applaudissements du public et qu’on se console de sa censure.



  1. Voir tome VII, page 103.