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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/222

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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

après la pièce, se fourra, sans dire gare, entre le roi et M. le duc de Duras, et lui dit : « Peut-on vous demander, Sire, comment vous trouvez cette pièce ? — Fort jolie, répond le roi un peu interdit. — En ce cas, reprend le poëte, permettez à l’auteur de vous en offrir un exemplaire[1]. » Les bons critiques prétendent que M. Barthe a volé ce trait à M. de La Condamine, et qu’il est obligé à restitution si ce dernier l’exige.

L’Académie royale de peinture et sculpture a offert un hommage plus noble au roi de Danemark. Pendant les vingt minutes que M. le duc de Duras lui permit de s’arrêter dans les salles de l’Académie, Sa Majesté désira voir le Petit Faune en marbre, morceau de réception de M. Saly, sculpteur de l’Académie, transplanté depuis quinze ans en Danemark, où il a fait la statue équestre du feu roi, et où il se trouve à la tête de l’Académie de Copenhague. Ce Petit Faune a de la réputation ; l’Académie, en le montrant au jeune roi, le supplia d’en agréer l’hommage, et Sa Majesté l’accepta.

M. Dorat, qui est en usage d’adresser des épîtres à toutes les belles et à tous les gens célèbres qu’il ne connaît pas, n’a pas manqué une si belle occasion de chanter un jeune roi de vingt ans : car c’est surtout de la jeunesse que M. Dorat est fou.

M. le duc de Duras avait présenté à peu près toute la France à Sa Majesté danoise, dans le premier mois de son séjour ; il n’y eut que les gens de lettres, ou ce qu’on appelle les philosophes, d’oubliés. Sa Majesté ayant désiré de les connaître, M. le baron de Gleichen, son envoyé extraordinaire à la cour de France, se chargea de cette mission. M. le duc de Duras, cédant en cette occasion ses fonctions à M. le baron de Gleichen, quel-

  1. Les Mémoires secrets de Bachaumont (31 octobre 1768) font, à cette occasion, jouer un rôle moins ridicule à Barthe. Cependant on est autorisé à tout croire de l’amour-propre de celui-ci. Un jeune poëte lui récitait une épître en son honneur. Comme Barthe avait composé un Art d’aimer dont personne ne se souvient aujourd’hui, l’épître commençait par ce vers :

    Vainqueur de Bernard et d’Ovide.

    À ce mot de vainqueur, Barthe se récrie ; sa modestie semble blessée d’un pareil éloge. L’auteur fait ses objections, Barthe insiste ; enfin le mot de rival est substitué, et le jeune homme continue sa lecture. Il avait fini, et Barthe, au lieu de lui donner les compliments d’usage, semblait enseveli dans de profondes pensées. Enfin, sortant tout à coup de sa rêverie : « Toute réflexion faite, dit-il, vainqueur est plus harmonieux. » (T.)