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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/481

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que cela ? C’est un inconvénient attaché à tous les ouvrages annoncés, prônés d’avance, de ne jamais remplir l’attente du public. Cependant M. de La Harpe a pris un très-bon parti en lisant sa pièce de cercle en cercle ; il lui a procuré par ce moyen une vogue qu’elle n’aurait pas eue, et sans les protecteurs que ces lectures lui ont attirés, il n’aurait pas eu peut-être la permission de la police de faire paraître sa Religieuse. Il existe quelque part, dans Paris, un M. Fontanelle qui doit trouver bien injuste le succès de M. de La Harpe. Ce M. Fontanelle a fait, il y a quelque temps, une tragédie intitulée Éricie, ou la Vestale ; on croit y trouver quelques allusions à nos cloîtres, et la police lui donne pour censeur M. l’archevêque de Paris, afin de prévenir toute surprise. Le prélat, devenu censeur de pièces de théâtre, opine que non-seulement cette Vestale ne peut être représentée, mais qu’elle ne doit pas même être imprimée ; et voilà mon pauvre diable de poëte pour ses frais de composition ; et lorsqu’il parvient enfin à la faire imprimer clandestinement, on envoie son colporteur aux galères pour en avoir vendu. M. de La Harpe traite le même sujet, mais sans le voiler : il place le lieu de la scène dans le parloir d’un couvent de Paris ; une novice, un curé, un père dur et cruel, un amant passionné, en sont les acteurs ; et l’auteur obtient la permission de vendre sa pièce publiquement, et en tire en quinze jours de temps sept mille livres. L’impression lui en a valu quatre mille, et il a eu un présent de trois mille livres de M. le duc de Choiseul ; ce présent a été fait avec autant de grâce que de noblesse. M. de La Harpe, ayant lu sa pièce chez Mme la duchesse de Grammont, en présence de M. le duc de Choiseul, dit, après la lecture, qu’il y avait deux libraires qui lui en offraient mille écus, supposé qu’il eût la permission de la publier. Le lendemain, M. le duc de Choiseul lui écrivit qu’il lui demandait la préférence sur les deux libraires ; qu’en conséquence il lui envoyait mille écus, et qu’actuellement que le manuscrit lui appartenait, il priait M. de La Harpe de trouver bon qu’il lui en fît présent. Cette tournure a rappelé à tout le monde la manière dont l’Impératrice de Russie a acquis la bibliothèque de M. Diderot : c’est imiter en petit ce qu’elle a fait en grand.

Il faut conserver ici des vers que le censeur n’a pas laissé passer à l’impression ; ils doivent être placés dans la scène