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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/489

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Mais l’histoire des lois contre l’usure, c’est l’histoire du genre humain ; éternellement dupes des mots, nous croirons toujours la chose changée quand le terme l’est. Encore cette tournure d’aliéner l’argent au lieu de le prêter n’a-t-elle remédié qu’imparfaitement aux inconvénients résultant d’une législation absurde, et il a fallu imaginer bien d’autres artifices, sans quoi le commerce ne pourrait pas subsister vingt-quatre heures en France. À Rome, dans les premiers temps de la république, le prêt d’argent était un lien politique par lequel le patriciat cherchait à assujettir le peuple, et les lois contre l’usure furent presque toujours l’ouvrage de la force ou de la nécessité, lorsque le peuple ou le corps des débiteurs, sentant trop ses chaînes et sa dépendance, se soulevait contre le patriciat ou le corps des créanciers. Chez un peuple sans art, sans industrie, sans commerce, tel que les Juifs, l’usure devait être presque toujours meurtrière pour le débiteur. Mais qu’est-ce que les anciens lépreux de Judée, et les pauvres citoyens de l’ancienne Rome, et une parabole rapportée dans saint Matthieu, ont de commun avec nos peuples modernes, dont la puissance et la grandeur reposent sur la gloire des armes et des arts, et sur la richesse d’un commerce immense ?

L’auteur de la Lettre à l’archevêque de Lyon examine la question du prêt à intérêt suivant : 1° le droit naturel ; 2° l’état des choses et les conséquences ; 3° le droit divin ; 4° les opinions humaines et la doctrine de l’Église ; 5° le droit civil ; 6° le droit civil particulier au commerce de Lyon. Dans tous ces rapports l’auteur prouve que le prêt à intérêt et à terme n’est pas seulement une chose licite, mais indispensable au commerce. J’ignore les motifs qui ont engagé le patriarche à traiter cette question ; il faut qu’on ait voulu changer quelque chose aux usages de la place de Lyon, et que les prêtres ou d’absurdes magistrats aient voulu gêner par des subtilités de l’école les opérations du commerce. Sa Lettre au primat des Gaules est pleine de sens et de raisonnements solides. L’auteur n’y fait point le philosophe ni l’esprit fort ; il fait l’avocat, le casuiste, le théologien, mais le théologien sensé, qui préfère le bien public à l’honneur de soutenir une thèse absurde. On dit qu’il y a réellement un M. Prost de Royer à Lyon, et qu’il a publiquement désavoué cette lettre, qui porte son nom : sa situation a pu exiger de lui un pareil