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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/490

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désaveu, mais je lui souhaite de ne jamais rien écrire de plus mauvais.


15 mars 1770.

M. de Belloy, citoyen de Calais, maître faiseur de tragédies suivant la cour, est coupable devant Dieu de la tragédie du Siège de Calais, et envers la nation de cette frénésie humiliante et passagère que sa pièce a excitée. Il est vrai que M. de Belloy ayant composé sa tragédie dans la pauvreté de son esprit et dans la simplicité de son cœur, on ne peut contester son innocence ; mais, suivant la logique de l’Ancien Testament, en vigueur chez le peuple de Dieu, tout homme qui, par sa faute ou sans sa faute, fait tomber un peuple dans un grand égarement, doit être anathème devant le Seigneur. Cette malédiction s’est accomplie sur le sieur de Belloy, malgré mes prières et celles des bourgeois de Calais, qui lui ont décerné les honneurs de citoyen, honneur dont on n’avait jamais entendu parler en France ; de sorte que M. de Belloy est non-seulement le premier, mais encore l’unique citoyen de Calais qu’il y ait en Europe. Mais cet honneur ne lui a pas tourné à profit ; on dit que M. de Belloy n’en est pas plus gras, et que ses protecteurs l’ont laissé dans un état qui répond fort mal à leur enthousiasme. Il aurait pu lui-même se tirer d’affaire par des succès multipliés au théâtre ; mais d’abord, après la retraite de Mlle Clairon, il n’a osé risquer aucune de ses tragédies, et depuis que Mme Vestris a du succès à la Comédie, il n’a pas pu réussir à les faire jouer. Pour ne pas laisser le public plus longtemps dans l’attente, il vient de prendre le parti de les faire imprimer. Ce parti n’est pas le bon ; nos yeux sont trop exercés, et on les trompe moins aisément que nos oreilles. On dit que ce sont des tracasseries sans nombre et sans fin avec les Comédiens qui ont porté M. de Belloy à retirer ses pièces et à les publier. Si cela est vrai, les Comédiens lui ont joué un mauvais tour. Cependant il a déclaré, dans les papiers publics que ce n’est par aucun mécontentement essuyé à la Comédie qu’il a pris le parti de mettre ses pièces au jour. Quoi qu’il en soit, elles étaient faites depuis plusieurs années, l’auteur les lisait de temps en temps dans quelques cercles, pour ne pas se laisser oublier par le public. Si Mlle Clairon était restée au théâtre, on aurait donné Gabrielle de Vergy tout de suite après le Siège