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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/516

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— Il faut dire un mot d’une feuille qui vient de paraître. Elle a seize pages d’impression, et porte pour titre : Lettre des Indes à l’auteur du Siècle de Louis XIV[1]. L’Indien, qui ne se nomme point, et qui s’appelle, à ce qu’on assure, M. de La Fotte, reproche à M. de Voltaire la manière dont il a parlé de l’affaire de M. de Lally. Premièrement, quand il aurait raison sur tous les points sur lesquels il chicane M. de Voltaire, il aurait toujours tort d’avoir de l’humeur, car cela n’ajoute aucun poids à ses raisons. En second lieu, il est extrêmement difficile de savoir la vérité de ce qui s’est passé à l’autre bout de l’hémisphère ; il n’y a rien sur quoi les différents partis n’aient soutenu des versions contradictoires avec une extrême chaleur, et avec un acharnement qui est rarement le caractère de la vérité. Tout ce qui m’est resté de la lecture des différents mémoires sur cette partie du monde, l’objet de notre cupidité, c’est que rien ne pourrait me déterminer à y aller comme employé ou chargé de quelque fonction publique. Il ne m’est pas bien démontré qu’on conserve les mêmes idées de la vertu et de la probité quand on a passé la ligne ; mais il m’est, en revanche, bien démontré que, si l’on arrive avec ces idées à la côte de Coromandel ou au Bengale, et qu’on s’avise d’y tenir dans l’exercice de sa place, on ne peut manquer de devenir la victime de la horde de fripons dont tous les intérêts se réunissent et conspirent nécessairement à la perte de l’honnête homme. Quant à l’Europe, nous savons un peu mieux ce qui s’y passe, et pour peu qu’on ait été à portée de s’instruire, on n’ignore pas que tel héros de l’Inde qui s’est laissé comparer par son avocat aux Scipion et aux Paul-Émile, et qui a osé demander des statues à sa patrie, aurait peut-être eu le sort de Lally si on lui avait fait justice[2]. Il n’y a qu’heur et malheur dans ce monde. Lally était un fou violent qui ne savait ménager personne : il devait être la victime d’une nuée d’ennemis puissants et riches. Quoiqu’il ne fût pas aimé du public, on se souvient encore du scandale que causa le bâillon et du mauvais effet que firent les termes vagues de l’arrêt de sa condamnation. On sait

  1. Amsterdam et Paris, 1770, in-8°. L’auteur est en effet de La Flotte. Voir dans le volume suivant la lettre du 15 juin 1770.
  2. Grimm veut parler ici du marquis de Bussy-Castelnau. Mis en cause dans le procès de Lally, il publia en 1766 : Mémoire à consulter, et consultation avec des lettres, etc., in-4°.