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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/114

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ces jours derniers l’épigramme suivante ; mais on n’a pu savoir le nom de l’enragé qui l’a composée :


Un jeune homme bouillant invectivait Voltaire.
Un « Quoi, disait-il, emporté par son feu,
Quoi, cet esprit immonde a l’encens de la terre !
Cet infâme Archiloque est l’ouvrage d’un dieu !
De vice et de talent quel monstrueux mélange !
Son âme est un rayon qui s’éteint dans la fange,
Il est tout à la fois et tyran et bourreau,
Sa dent d’un même coup empoisonne et déchire ;
Il inonde de fiel les bords de son tombeau,
Et sa chaleur n’est plus qu’un féroce délire. »
Un vieillard l’écoutait sans paraître étonné.
« Tout est bien, lui dit-il ; ce mortel qui te blesse,
Jeune homme, du ciel même atteste la sagesse :
S’il n’avait pas écrit, il eût assassiné[1]. »

Cette épigramme a eu le sort de toutes les atrocités ; l’horreur en est retombée sur l’auteur, qui n’a pas osé se faire connaître. Son esprit est aussi faux que son âme est féroce ; car, pour attester la sagesse du ciel, il serait bien plus convenable qu’un empoisonneur public ne fût qu’un assassin. Ce dernier n’est funeste qu’à quelques individus, et la terre en est bientôt purgée, au lieu que l’autre corrompt et détruit la race entière, et que les effets de son poison subsistent même après lui. Il y a des pays policés où, pour attester la sagesse des lois, de telles épigrammes mènent aux honneurs du carcan.

M. de La Harpe, dont le caractère moral n’est pas encore à l’abri des attaques, et qui a trop d’ennemis pour ne s’en être pas attiré quelques-uns par sa faute, doit à la Veuve du Malabar l’épigramme suivante :


« Je suis assez content, disait un petit-maître
En entrant au foyer : sait-on quel est l’auteur ? »
Le froid La Harpe alors dit d’un ton de docteur :
« À ses vers durs et secs peut-on le méconnaître ?
C’est Lemierre. — Passons, répond un amateur

  1. Les Mémoires secrets de Bachaumont, à la date du 27 juillet 1770, attribuent cette épigramme à Dorat ; nous ignorons quel en est l’auteur. Mais à coup
    sûr, elle n’est pas de celui qui répondait avec tant d’aménité aux épigrammes qu’il croyait lancées contre lui par Voltaire. Voir tome VII, p. 471 et 500 ; t.  VIII, p. 48.