Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partialité la production de M. Séguier, on ne pourra s’empêcher de remarquer partout la légèreté et le ton puéril d’un écolier à la place de la dignité et du ton grave qui conviennent à un magistrat. L’auteur commence comme Cicéron contre Catilina : Quousque tandem ; il n’y a point d’écolier en rhétorique qui ne se fût applaudi de ce début. Ensuite il parle de la ligue offensive qui existe aujourd’hui entre les auteurs en tout genre contre la religion et le gouvernement. Il en parle comme de la confédération la plus redoutable ; à l’entendre parler, on dirait que nous touchons au renversement du royaume et au commencement de la guerre civile ; et, Dieu merci, jamais la tranquillité publique ne fut mieux assurée que dans ce siècle : s’il y avait le moindre danger, il ne serait pas permis à un homme public d’en parler avec cette étourderie et cette légèreté. Il dit que les hommes les plus faits pour éclairer leurs contemporains se sont mis à la tête des incrédules, et il fait entendre que tous ceux qui ont le sens commun et l’ombre de talent sont de ce parti. Étrange moyen de le décréditer ! Il prétend qu’il n’y a plus aucun genre de littérature exempt de cette contagion, que tout, jusqu’aux théâtres, en a été infecté, et que l’affluence des spectateurs et l’énergie de l’imitation ont donné au poison un nouveau degré d’activité sur l’esprit national. Il ne tiendra qu’à M. Lemierre de prendre ce compliment pour lui : sa Veuve du Malabar est le plus beau sermon contre l’autorité épiscopale, contre la hiérarchie de l’Église, contre les préjugés religieux, qui ait été prêché cette année ; c’est dommage que l’affluence des auditeurs n’ait pas répondu à l’activité du poison. Enfin M. Séguier s’enivre si fort de son eau et se fait des peintures si effrayantes qu’il finit par avoir peur pour lui-même : mais un noble héroïsme vient à son secours et lui fait affronter tous les dangers ; il déclare courageusement que quelque risque qu’il puisse y avoir pour lui à s’élever contre les apôtres de la tolérance, les plus intolérants des hommes dès qu’on se refuse à leurs opinions, il remplira son ministère avec l’intrépidité que donnent la défense de la vérité et l’amour du bien public. On croit voir Arlequin affublé d’une robe de magistrature et se battant contre son ombre. Je puis assurer M. le requérant que le seul risque qu’il y ait à remplir un ministère public avec ce ton-là, c’est de se donner l’air d’un polisson en dépit de l’impor-