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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/184

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petit goût et son style un peu trivial, il fut le premier qui écrivit vrai dans ce pays-ci, et ce lui fut un grand mérite auprès des gens de goût. En Italie, ce mérite n’en est pas un, parce que le compositeur le plus médiocre ne peut pas écrire faux, ni se méprendre sur la vérité d’une déclamation, à cause des modèles subsistants, et parce que l’art est cultivé et perfectionné depuis longtemps, et que ces principes sont connus ; mais ici, sur vingt amateurs et sur trente connaisseurs, vous n’en trouverez pas un qui entende seulement ce que cela veut dire. Quand on leur chante vrai, ils applaudissent ; mais cela ne les empêche pas d’applaudir le lendemain ce qui est composé faux, ou du moins sans aucune idée de vérité, c’est-à-dire toute la musique du magasin de l’Opéra français, et les trois quarts de celui de l’Opéra-Comique. Supposez donc que Duni soit un homme fort médiocre dans sa patrie, nous n’en sommes pas moins obligés de lui accorder les honneurs de créateur en France : cela prouve seulement qu’il est aisé à un borgne de se faire roi dans le royaume des aveugles. Mais il a survécu à sa gloire, dont Philidor et Grétry se sont entièrement emparés. Je crois Thémire la plus faible de toutes ses pièces ; elle n’a ni couleur ni caractère, et cependant il n’y a point de genre qui demande à être écrit avec plus de soin que la pastorale, et tous les grands maîtres ont toujours plus soigné les ouvrages de ce genre que les tragédies et comédies où les mouvements pathétiques et rapides et la force comique peuvent faire pardonner des négligences de style, et où l’esquisse fait souvent autant d’effet que le tableau achevé. Si Grétry eût fait la musique de Thémire, je suis persuadé que la pièce aurait fait le plus grand plaisir au théâtre ; mais c’est un singulier homme que ce Sedaine. Il a quitté Philidor avant qu’il fût ce qu’il est devenu ; il a fait réussir Monsigny, malgré toute la pauvreté de son style ; il prend Duni quand il est vieux ; quand Grétry sera mort, il voudra travailler avec lui, et je crains que ce ne soit bientôt[1].

Le zèle des acteurs de ce théâtre est vraiment infatigable. Ils avaient quatre pièces nouvelles à apprendre et à représenter pendant le voyage de Fontainebleau ; cela ne les a pas empêchés

  1. Grétry a eu le bon esprit de faire mentir toutes les prédictions de Grimm, et même la malice d’enterrer le prophète. (Premiers éditeurs.)