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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/200

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c’était de faire empaler les deux voleurs pris sur le fait, mais c’est un Turc courtois ; par égard pour la nation française, par respect pour le roi de France, il fait grâce aux deux bandits, ce qui est en effet une marque d’attention singulière et bien flatteuse pour la nation et pour le roi. Le consul, de son côté, fait dresser le contrat de mariage des jeunes gens et oblige les deux vieux coquins à le signer, en donnant chacun dix mille ducats pour présent de noces ; c’est à ce prix qu’ils obtiennent leur liberté et leur grâce. Ce dénoûment avait déjà été sifflé à la cour, il l’a été à Paris de même et on lui a substitué l’autre. À la cour on chanta aussi pour jouer sur le mot de Louis qui est à la fois le nom du maître et celui de sa monnaie ces deux beaux couplets :


LES DEUX AVARES.

Oui, compère, il faut être avare,
Aimons toujours nos chers louis ;
Notre goût n’est point si bizarre :
Pour nous du bonheur c’est le puits.


À quoi le cadi et les janissaires répondaient ;

C’est ainsi qu’on peut être avare ;
Aimez toujours vos chers louis ;
Votre goût n’est point si bizarre,
On les aime autant à Paris.


Vous voyez que le noble patriotisme de M. de Falbaire perce de toutes parts.

Cette pièce n’a réussi ni à la cour, ni à Paris. On a même pris ici les choses au grave, et il y a eu un déchaînement effroyable contre le pauvre poëte. Hélas ! ce pauvre Fenouillot n’a qu’un malheur et qu’un tort, c’est d’être un peu bête. Vous en avez déjà eu des preuves dans ce petit précis ; si vous daignez jeter les yeux sur la pièce, vous en trouverez à chaque phrase. Quand un homme est atteint et convaincu de ce mal, il n’est pas juste de lui chercher chicane, ni d’attaquer son cœur, qui est innocent et sec comme le fond de son puits. Il a fait les Deux Voleurs, et il a cru faire bonnement les Deux Avares. Il est loin de connaître la nature. Un avare n’augmente son bien qu’à force