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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/201

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de prudence et de privations ; il se donnerait bien de garde de s’aventurer dans une mauvaise entreprise, dont la découverte pourrait le ruiner de fond en comble : le génie du brigand qui attente à toute propriété, parce qu’il ne peut rien conserver, et celui de l’avare, sont fort différents. Notre pauvre poëte a voulu faire une farce ; c’est le genre qui exige le plus de verve et de folie, et il n’y a pas dans toute sa pièce le mot pour rire, pas un trait plaisant ; elle est d’une tristesse mortelle, on en sort le cœur navré. Il n’y a pas une scène qui vous ravigote au milieu de la sécheresse qui règne à Smyrne, et qui vous dessèche autant l’esprit que les puits de ses rues. À la lecture, on croirait que le mouvement perpétuel de la pièce, les allées et venues continuelles, soutenues par la musique, doivent produire de l’effet et de l’amusement, au moins pour les yeux ; mais à la représentation tout est d’un vide et d’un triste mornes. Vous ne manquerez pas de remarquer, parmi les saillies heureuses de M. de Falbaire, le duo des Deux Avares qui s’exhortent à frapper à grands coups, parce que tout le monde dort, et qu’ils ont le plus grand intérêt à ne réveiller personne.


Frappons, frappons à grands coups,
Tout sommeille autour de nous.


Il y a des choses charmantes dans la musique ; malgré cela, M. Grétry a pensé être entraîné par la chute de M. de Falbaire ; ce n’est qu’avec beaucoup de peine qu’il a soutenu son poëte en l’air sur un immense précipice ; il doit en avoir le bras fatigué. Il a fallu tâtonner beaucoup dans les premières représentations pour retrancher ce qui avait le plus déplu, et faire les coutures nécessaires pour faire aller le reste. Il en est résulté ce que nous appelons en musique un hachis, c’est-à-dire que la véritable succession des airs ayant été dérangée par des déplacements ou des suppressions, l’influence mutuelle des uns sur les autres est détruite, ce qui ne peut jamais arriver sans nuire considérablement à l’effet. Les airs chantés par le charmant Caillot sont les plus beaux de la pièce. Son duo avec le compère Gripon :


Prendre ainsi cet or, ces bijoux !
De moitié nous serons ensemble,