de lui envoyer pendant cinquante jours de suite, tous les matins, une épigramme pour son déjeuner. Il lui tint parole. Au bout de quinze jours et de quinze épigrammes, l’abbé Desfontaines tomba malade ; alors Piron se contenta de faire tous les matins son épigramme, mais ne l’envoya plus. Le vingt-cinquième jour, l’abbé Desfontaines mourut, et Piron s’arrêta au nombre de vingt-cinq. On se rappelle plusieurs de ces épigrammes, qui sont des chefs-d’œuvre, et le recueil complet en serait très-précieux. Il faut que M. Linguet ait entendu parler de cette gageure, car il a voulu l’imiter ; il a promis, dès le mois d’octobre, à M. de La Harpe, de lui envoyer tous les lundis une épigramme de la campagne, où il se reposait de ses fatigues de l’été dernier. De ces épigrammes, il en est venu cinq à ma connaissance, et elles vous prouveront que Henri-Simon-Nicolas Linguet ne ressemble pas plus, de ce côté, à Alexis Piron ni à Jean-Baptiste Rousseau, qu’à Jean-Jacques Rousseau par l’art de défendre des paradoxes.
Monsieur La Harpe, en son Mercure,
Blâme le feu de mes écrits ;
Monsieur La Harpe, je vous jure,
D’un défaut de cette nature
Vous ne serez jamais repris :
Et s’il me vient un jour envie
D’abandonner ce vilain ton,
Pour bien refroidir mon génie,
J’étudierai Timoléon,
Warwick, Gustave et Mélanie.
Le public s’est moqué de tes panégyriques ;
Le parterre a sifflé ton froid Timoléon ;
Tes épîtres mélancoliques,
Tes oraisons académiques
Se sont mises en poudre au souffle de Fréron.
Hibou de la littérature,
Prosateur malfaisant, rimailleur fanfaron,
Te voilà donc, pour dernière aventure,