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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/217

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M. Le Breton, premier imprimeur ordinaire du roi, était associé pour la moitié dans l’entreprise de l’Encyclopédie ; il était, de plus, chargé de l’impression de la totalité de l’ouvrage. L’autre moitié de l’intérêt dans cette entreprise était partagée entre trois libraires, dont deux sont morts ; Le Breton et Briasson s’étant mis en leur lieu et place sont restés seuls maîtres de l’entreprise. Ils ont eu toute leur vie pour maxime invariable que les gens de lettres travaillaient pour acquérir de la gloire, et les commerçants pour accumuler des richesses : en conséquence, ils ont partagé tous les revenants-bons de l’Encyclopédie en deux parts, laissant à M. Diderot toute la gloire, tous les dangers, toute la persécution, et gardant pour eux tout l’argent provenant des quatre mille trois cents souscriptions. L’honoraire de M. Diderot, pour un travail immense qui a absorbé la moitié de sa vie, a été fixé à deux mille cinq cents livres pour chacun des dix-sept volumes de discours, et à une somme de vingt mille livres une fois payée ; et tandis que son travail procurait aux libraires des millions, le philosophe était assez imbécile en affaires pour être la dupe de leur avarice, et ses amis n’eurent pas assez de crédit sur lui pour le déterminer à exiger des conditions plus équitables.

Le Breton, chargé de l’impression des dix volumes qui devaient terminer l’ouvrage, et qu’on se proposait de publier ensemble pour prévenir de nouvelles persécutions, se fit d’abord donner le syndicat de la librairie, pour être instruit de toutes les saisies que la police pourrait ordonner, et à même par conséquent de prévenir les coups que de nouvelles délations pourraient attirer à la continuation de l’entreprise car le gouvernement ne s’était expliqué sur aucune espèce de tolérance ; il faisait semblant d’ignorer que l’Encyclopédie s’achevait dans la plus grande imprimerie de Paris, où cinquante ouvriers étaient employés à ce travail ; voilà toute la faveur. Tranquille, au moyen de ces précautions, pour le temps de l’impression, M. Le Breton voulut encore prévenir les orages dont il se croyait menacé au moment de la publication en conséquence il s’érigea avec son prote, à l’insu de tout le monde, en souverain arbitre et censeur de tous les articles de l’Encyclopédie. On les imprimait tels que les auteurs les avaient fournis ; mais quand M. Diderot avait revu la dernière épreuve de chaque feuille, et