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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/239

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tation ; et à cet égard il valait mieux suivre ses conseils que son exemple. Je me souviens que lorsqu’il fut nommé premier médecin du roi, il proposa à M. le duc d’Orléans, pour remplir la place de premier médecin de ce prince qu’il quittait, d’appeler le docteur Fizes, de Montpellier. Ce choix ne réussit point, quoique Fizes eût une grande réputation ; il ne fut à Paris que ridicule et avare, et s’en retourna à Montpellier au bout de quelques mois. « Je lui avais prescrit, disait Sénac, d’approcher gravement du malade, de ne point parler, de tâter le pouls, de rentrer ensuite dans sa perruque, d’y rester un moment, de prononcer son arrêt, prendre l’argent et s’en aller. Le vieux fou n’a rien fait de tout cela, ce n’est pas ma faute. » Sénac était brouillé avec la Faculté de médecine de Paris. Lorsqu’il arriva en ce pays-ci, il voulut être reçu docteur sans soutenir thèse, parce qu’il était docteur de Montpellier, et qu’il croyait avoir fait ses preuves de mérite. La Faculté le refusa, et il devint son ennemi irréconciliable ; tous les dégoûts qu’il pouvait lui donner, elle était sûre de les avoir. Comme il influait sur le choix de M. le duc d’Orléans, jamais la place de premier médecin au Palais-Royal n’a été occupée par un docteur de la Faculté. Nous devons aussi à cette haine l’établissement de l’inoculation en France : c’est uniquement pour faire de la peine à la Faculté que Sénac détermina M. le duc d’Orléans à faire inoculer M. le duc de Chartres et Mademoiselle, aujourd’hui Mme la duchesse de Bourbon, et à appeler M. Tronchin. Il est vrai que celui-ci ayant fait trop de sensation à Paris, Sénac devint son ennemi capital. Il dit un jour au roi qu’après avoir plus mûrement réfléchi, il était obligé de regarder l’inoculation comme dangereuse. M. le duc d’Orléans lui devait un compliment de n’avoir réfléchi qu’à demi lorsqu’il s’agissait d’y exposer ses enfants ; mais la pratique est restée salutaire, malgré les réflexions plus mûres de M. le premier médecin. Mme Sénac a été moins salutaire à la France. Elle avait le département des charlatans, et y jouissait des profits attachés, que son extrême avarice voulait pousser aussi loin qu’ils pouvaient aller. Tout coquin qui payait grassement était sûr d’avoir une permission du premier médecin, délivrée par sa femme, pour vendre et débiter par tout le royaume des drogues souvent funestes à la santé du peuple : son règne fut celui des charlatans. Sa mort