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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/244

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divers, je crains qu’ils ne soient, ensemble avec leur auteur, condamnés aux mêmes peines.

— Le théâtre de la Comédie-Française se plaît apparemment aux chutes, car depuis longtemps tous ses essais ont été marqués aux sifflets du parterre, et si cela continue, toutes les pièces nouvelles seront plombées du sifflet à la douane du bel esprit.

Le 29 décembre dernier, les Comédiens ont essayé de jouer la Veuve, comédie en un acte et en prose, par M. Collé, auteur de Dupuis et Desronais et de la Partie de chasse de Henri IV. Cette pièce est imprimée depuis plusieurs années. Les Comédiens l’ont affichée sous le nom de Veuve anglaise, parce que l’auteur suppose qu’elle a été élevée en Angleterre. Anglaise ou Française, elle a été sifflée à la première représentation, et l’auteur l’a retirée. Vous pouvez la lire dans son Théâtre de société publié depuis plusieurs années ; vous la trouverez froide. Si l’on vous dit qu’elle est bien écrite, vous n’en croirez rien, et vous resterez persuadé au contraire que non-seulement le style en est infiniment négligé et incorrect, mais que le ton en est faux et essentiellement mauvais. Quand M. Collé ne fait parler des freluquets à faux airs et des femmes perdues, il n’y est plus, son naturel disparaît, il devient faux, guindé ou plat. Je ne sais ce qui peut avoir déterminé les Comédiens à essayer cette pièce sur leur théâtre, si ce n’est l’épargne qu’ils font de la part d’auteur à leur profit quand une pièce est imprimée avant la représentation.

Le succès que la Veuve a eu sur un théâtre de société fort célèbre peut aussi leur avoir donné l’envie de faire cet essai. La Veuve réussit beaucoup l’été dernier sur le théâtre du château de la Chevrette, où la société de M. de Magnanville, garde du trésor royal, joue la comédie avec les plus grands applaudissements. Il y a de très grands talents, surtout en femmes, dans cette troupe de société. Mme de Pernon, fille de M. de Magnanville, a, sans être belle, une figure intéressante et la voix du monde la plus touchante ; elle est à merveille dans les rôles de sentiment. Mme la marquise de Gléon, sa cousine, grande et belle femme, a joué le rôle de la veuve avec un ton, une grâce, un agrément que les actrices de profession n’auront jamais, parce que le défaut de première éducation qu’on leur remarque choquera toujours ceux qui ont un peu de délicatesse