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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/243

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a vu que M. Saurin a fourré un enfant dans son Beverley avec quelque succès, et vite il en a donné deux à son Fabricant qui ne tiennent nullement au sujet, et qui ne font qu’aller et venir pendant toute la pièce, et embarrasser la scène, et distraire le spectateur de l’attention qu’il doit aux événements. Il a lu quelque chose dans la poétique de M. Diderot sur les scènes simultanées, il en a vu l’essai dans le Père de famille, et il a cru qu’il n’y avait qu’à en faire depuis le commencement jusqu’à la fin. En revanche, il s’est dispensé de faire les scènes, il n’y en a pas une de faite ; tout se passe en allées et venues perpétuelles. Sa pièce ressemble à un de ces canevas que les comédiens italiens ont coutume de plaquer contre le mur derrière la coulisse, et sur lequel ils viennent improviser sur le théâtre en suivant la succession des scènes et la marche de l’intrigue. M. de Falbaire n’a ni génie, ni imagination, ni chaleur, ni sentiment, ni jugement, ni éloquence, ni style ; je le savais après avoir vu son Honnête Criminel, et j’étais bien sûr qu’il ne ferait jamais rien. Il nous revient encore aux Italiens une de ses pièces que Philidor a mise en musique. C’est le Premier Navigateur de Gessner. Pauvre Philidor, que je vous plains !

Remarquons en finissant que nos poëtes ont pris à tâche depuis quelque temps de nous dégoûter du suicide, en le traitant si ennuyeusement et si platement sur la scène : et qu’on dise après cela qu’ils ne sont pas bons citoyens, et qu’ils ne secondent pas merveilleusement les vues du gouvernement dans un temps où la manie de se tuer est devenue si publique et si fréquente ! Mais le public est excédé des suicides, au moins sur le théâtre, et il n’a fait que bâiller à la représentation du Sidney mélancolique de Gresset que les Comédiens avaient tenté de remettre il y a quelque temps. Pour M. de Falbaire, il a juré de ne jamais s’éloigner du greffe criminel, soit qu’il veuille toucher, soit qu’il cherche à nous faire rire. Son galérien[1], ses Deux Avares[2] qui ne sont que deux voleurs, ses deux Noyés sont autant de sujets à procès-verbal en présence de M. le lieutenant criminel et de son greffier ; et quoique leurs cas soient fort

  1. L’Honnête Criminel.
  2. Voir précédemment p. 188.