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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/246

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rage d’annoncer. Les amis de Mlle Clairon nous avaient dit, trois mois d’avance, que nous allions voir la perle des acteurs, et lorsque cette perle a paru, nous avons été tentés de lui disputer jusqu’à sa qualité de perle. Mlle Clairon s’était placée dans le trou du souffleur le premier jour de son début ; c’est de là qu’elle dirigeait son élève à chaque vers et à chaque pas, des yeux, de la voix, des gestes. À la place de M. Larive, si j’avais eu quelque talent, cette sollicitude maternelle eût été un moyen infaillible de me le faire perdre. L’élève annoncé fut d’abord reçu avec les plus grands applaudissements ; mais ces applaudissements allèrent toujours en déclinant, et il n’en resta plus pour les quatrième et cinquième actes ; la marche inverse eût mieux valu. En revanche, Mlle Clairon eut la mortification dans son trou d’entendre applaudir avec transport Mme Vestris, qui l’a remplacée au théâtre, et fait oublier du public ; elle s’était placée tout juste aux pieds et en face de sa rivale, pour être témoin de son triomphe. En effet, cette actrice joua plusieurs morceaux d’Alzire avec une grande supériorité, et écrasa entièrement son cher Zamore le débutant. Je crains qu’elle ne s’accoutume insensiblement à chanter avec monotonie dans les vers de tendresse et de sentiment ; si elle peut échapper à ce défaut, je ne doute pas que, tout en grasseyant, elle ne parvienne à une grande réputation. Les applaudissements qu’elle reçut dans le rôle d’Alzire, quoique excessifs, étaient bien mérités.

Quant à M. Larive, le public, après l’avoir vu jouer dans plusieurs rôles, lui a décerné les honneurs de la médiocrité ; je doute qu’il mérite jamais au delà. Ses partisans disent qu’il a une très belle figure, une voix superbe, un maintien et des gestes nobles. Je n’aime ni son maintien, ni sa voix, ni sa figure. J’ai vu des figures beaucoup moins belles et infiniment plus théâtrales. Il n’a point de jeu dans sa physionomie, rien ne se peint sur son visage ni dans ses beaux yeux.


Ses grands yeux noirs ne me disent rien du tout.


Il a l’air d’un oiseau de proie superbe, mais sans esprit. Je parierais que M. Larive est fort bête, et je gagnerais. Il n’a ni véritable chaleur ni sentiment. Si tout cela lui vient avec le temps, il sera grand acteur. Marmontel le prétend ; il nous