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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/247

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assure que M. Larive écrasera Le Kain incessamment. Il lui reste encore à grimper pour arriver à la cheville de cet acteur célèbre, qui doit reparaître sur le théâtre le mois prochain, après une absence de dix-huit mois, et qu’on dit rétabli d’une longue et dangereuse maladie par les soins de M. Tronchin.

— On donna le 11 décembre dernier, sur le théâtre de l’Opéra, la première représentation d’Ismène et Isménias, tragédie lyrique en trois actes, tirée en partie du roman grec de ce nom, par M. de Laujon, secrétaire des commandements de monseigneur le comte de Clermont, prince du sang. Je conviens que je n’ai rien compris au poème de M. de Laujon, et que je n’ai eu nulle envie d’y rien comprendre. Il a été musiqué par M. de La Borde, premier valet de chambre du roi, amateur et garde-magasin de doubles-croches suivant la cour. Cet opéra a fait fortune par le ballet de Jason et Médée qu’on y a cousu, non tel qu’il a été donné à Vienne par les soins de Noverre, mais tel qu’il a pu être imité par Vestris, qui a dansé à Vienne dans ce ballet de Noverre. Il fallait en conserver au moins la musique, qu’on dit superbe : mais M. de La Borde a mieux aimé y substituer la sienne sans génie et sans goût. Vestris n’a pas observé une autre chose aussi essentielle que la musique c’est que dans les ballets de Noverre la danse et la marche cadencée sont très distinctes ; on ne danse que dans les grands mouvements de passion, dans les moments décisifs ; dans les scènes, on marche en mesure à la vérité, mais sans danser. Ce passage de la marche mesurée à la danse et de la danse à la marche mesurée est aussi nécessaire dans ce spectacle que, dans celui de l’Opéra, le passage du récitatif à l’air et de l’air au récitatif ; mais danser pour danser ne peut avoir lieu que lorsque la pièce en danse est finie. Voilà les éléments de ce spectacle qui fit de si grands prodiges chez les anciens, et dont M. Noverre a ressuscité l’idée dans les cours d’Allemagne. Son imitateur Vestris, n’ayant pas pris garde à ces éléments, m’a paru avoir fait un ballet sans aucun effet. Malgré cela, la nouveauté du spectacle l’a fait réussir et a attiré beaucoup de monde à l’Opéra. Les uns ont dit que c’était beau, les autres que les contorsions de Vestris-Jason étaient ridicules, et celles de Médée-Allard effroyables. Créuse-Guimard, après avoir été empoisonnée dans ce ballet par sa rivale, a dansé dans le troisième acte comme