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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/254

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profit, il s’est trouvé en perte à la fin de la partie : ce n’est pas la première fois que, pour vouloir trop se servir, on s’est nui.

M. de La Harpe est né avec du talent ; il a du style, il a de la douceur et de l’harmonie dans sa versification : en un mot, il a annoncé d’heureuses dispositions ; mais ces dispositions veulent être perfectionnées, et il n’est pas permis de les montrer dix ans de suite sans aucun progrès sensible. Le malheur de nos jeunes gens est de vouloir être placés à vingt-cinq ans parmi les oracles de la nation ; ils croient qu’on n’a qu’à se fabriquer un trépied comme on peut, le porter de spectacles en spectacles, de soupers en soupers, et qu’on ne peut manquer d’être bientôt un grand homme. Si la confiance et la présomption fortifiaient les talents, ils ne tarderaient pas à être au pinacle ; mais il faut d’autres moyens pour y arriver ; il faut des études longues et opiniâtres, il faut une application constante ; il faut l’amour de la solitude et des lettres, et non l’amour exclusif de la considération qu’elles procurent, pour devenir digne d’être compté parmi ceux que les lettres ont véritablement illustrés. Je crains que M. de La Harpe ne ressemble à ces jeunes étourdis qui, nés dans une aisance honnête, auraient pu vivre dans l’opulence s’ils avaient eu l’esprit de conduite, et qui finissent par être ruinés pour avoir voulu dépenser trop tôt. Son ton arrogant et tranchant est d’ailleurs un symptôme de médiocrité qui trompe rarement ; il lui a déjà attiré une nuée d’ennemis ; et comme il paraît aimer la petite guerre, les épigrammes, les petites méchancetés, il trouvera à chaque pas à qui parler, et il peut s’arranger pour guerroyer en partisan toute sa vie : métier triste et pénible dont les fatigues ne sont pas compensées par la gloire qu’il procure.

Plus on examine la traduction de Suétone publiée par M. de La Harpe, moins on le trouve excusable de l’avoir hasardée. Je laisse au regrattier Fréron et consorts le soin d’exposer en public quelques minots de bévues ramassées au hasard chez ce traducteur infidèle ; on les trouve par centaines, et l’on n’a malheureusement que l’embarras du choix. L’extrême négligence s’est trouvée réunie, dans M. de La Harpe, à l’extrême ignorance du latin en général, et de son texte en particulier. On devait s’attendre du moins à lire un Suétone rempli de fautes, mais écrit