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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/266

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qu’il sortit de son pays à la fin du dernier siècle, il abandonna son bien à sa famille sous la réserve d’une petite rente viagère qui ne lui fut jamais payée. Malgré cela il a toujours vécu dans une aisance honnête, et l’on dit qu’il a laissé plus de cinquante mille livres argent comptant.

M. le duc d’Orléans, régent du royaume, l’aimait beaucoup, parce qu’il aimait les gens d’esprit et de lettres. M. de Mairan resta attaché à la maison d’Orléans en qualité de secrétaire ordinaire. Ces charges n’ont que quatre cents livres d’appointements, mais elles donnent tous les privilèges de commensaux du roi, et ce sont d’ailleurs des bénéfices simples, les secrétaires des commandements ne laissant point de fonctions aux secrétaires ordinaires. Ceux-ci, communément appelés les petits secrétaires, sont au nombre de huit, et depuis la création de la maison d’Orléans leur corps a toujours été supérieurement bien composé ; les Fontenelle, les Mirabeau, les Mairan, et beaucoup d’autres académiciens d’un mérite distingué, en ont successivement occupé les places. J’ai vu M. de Mairan, encore au commencement de cette année, faire sa cour à M. le duc d’Orléans, et je comptais bien qu’il continuerait encore une dizaine d’années au moins. Il n’a pas regretté la vie, il n’a pas craint la mort. On lui apprit dans ses derniers moments la mort de l’abbé d’Arty qu’il avait connu et que le libertinage venait de conduire au tombeau : « Il meurt à quarante ans, dit le philosophe moribond avec son petit accent gascon ; et moi j’ai vécu avec honneur, sans douleur, estimé et heureux, jusqu’à l’âge de quatre-vingt-treize ans, et je tortillerais du cul pour mourir ! Cela ne serait pas juste. J’ai eu un bon lot, il faut savoir reconnaître ses avantages. »

— Le marquis d’Argens, chambellan du roi de Prusse, est mort au commencement de cette année en Provence, où il était né, et où il s’était retiré depuis deux ou trois ans. Il est l’auteur d’un nombre considérable de productions littéraires et philosophiques dont aucune peut-être n’ira à la postérité, mais qui n’ont pas laissé que de trouver des lecteurs dans leur temps, et d’avoir la vogue. Son séjour auprès d’un roi guerrier et philosophe le rendit un savant philologue, et son mariage avec une danseuse, si je ne me trompe, lui donna la passion du grec ; il traduisit, dans les dernières années de sa vie, plusieurs morceaux de philosophie grecque. Je le vis à Paris il y a environ