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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/268

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au contraire en accusent uniquement ses excès de table : cette remarque n’est pas à mépriser.

Bernard était né à Grenoble ; son père était, je crois, sculpteur[1]. Il suivit dans la guerre de 1733 en Italie, en qualité de secrétaire, je ne sais quel officier général qui y mourut. Le maréchal de Coigny connut Bernard, et fit sa fortune. Il lui donna la place de secrétaire général des dragons, qui lui valut plus de dix mille livres de rente, et qu’il a toujours exercée. Il resta à l’hôtel de Coigny jusqu’à la mort du maréchal, et conserva également les bontés et l’amitié de ses petits-fils, mettant toujours assez de souplesse dans sa conduite pour esquiver le rôle d’un complaisant subalterne, et pour allier sa liberté et ses plaisirs avec les égards qu’il devait à tout ce qui était Coigny. Bernard vécut toujours dans la meilleure compagnie, sans préjudice de la mauvaise qu’il fréquentait sans affiche pour son plaisir : c’était en général le premier homme pour jouir de tout sans rien afficher. Il avait connu Mme de Pompadour avant qu’elle fût à la cour ; Bernard et l’abbé de Bernis étaient les beaux esprits de la société obscure de Mme d’Étioles, sous-fermière ; elle s’en souvint dans sa fortune : l’abbé devint ministre et cardinal, Bernard resta Gentil-Bernard sur le pavé de Paris, trop sage pour vouloir d’une fortune plus brillante, et pour sacrifier son indépendance à l’ambition. Mme de Pompadour le fit cependant bibliothécaire du roi à Choisy, poste qui, sans le fatiguer, lui procura une très-jolie habitation dans cette maison royale.

Le même esprit de sagesse empêchait Bernard de publier aucun de ses ouvrages ; l’opéra de Castor et Pollux, mis en musique par Rameau, est le seul qui ait été imprimé de son aveu, parce qu’il fallait se conformer à l’usage. Cet opéra tomba d’abord, comme tous les ouvrages de Rameau ; mais c’est aujourd’hui le seul pivot sur lequel repose la gloire de la musique française. Quand cette gloire est aux abois, et cela lui arrive à tout moment, on descend à l’Opéra la châsse des frères d’Hélène comme à Sainte-Geneviève celle de la paysanne de Nanterre. Castor et Pollux est un ouvrage médiocre, rempli de

  1. Pierre-Joseph Bernard était né à Grenoble, le 26 octobre 1708, de Joseph Bernard, sculpteur, et de Marie Berthet.