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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/298

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fait couler les larmes de la douleur et de la confusion. Cet établissement coûte à l’État 15,000 livres tous les ans ; et l’on ose dire que le roi ne peut le soutenir, vu le délabrement actuel de ses finances ! Michel Van Loo tenait cette pension depuis la mort de Carle ; et, depuis quatre ans, il n’avait rien touché de la cour, et s’était vu dans la nécessité de faire toutes les avances pour la nourriture et l’entretien de ces élèves ; il est dû à sa succession, pour ce seul objet, environ 60,000 francs. On lui devait, depuis plus de dix ans, 30,000 livres d’ouvrages ordonnés pour le compte de Sa Majesté en 1769 on lui paya cette somme en billets de Nouette, qui perdaient 70 pour cent sur la place ; en 1770 les intérêts de ce papier furent réduits de 5 à 2 et demi : c’était, tout juste, lui enlever la moitié de la somme qui lui était légitimement due depuis nombre d’années. Michel parlait de toutes ces pertes comme de choses absolument étrangères à son bonheur, à son repos, à son existence ; et l’on voyait bien que ce qui n’intéressait ni l’honneur, ni le sentiment, ni l’amitié, n’avait jamais effleuré son âme.

— Le 16 mars dernier sera remarqué par les historiographes du Théâtre-Français. C’était la fin de l’année théâtrale, le jour de la clôture des spectacles. Le Kain, qu’on croyait perdu pour le théâtre, et qui se trouvait rétabli par les soins de M. Tronchin, avait reparu depuis le commencement du mois de février, avec des applaudissements universels, et certainement bien mérités. Il avait joué le rôle de Néron dans Britannicus ; celui de Mahomet, et quelques autres : il devait jouer, le jour de la clôture, le rôle de Tancrède ; mais il s’agissait de lui trouver une Aménaïde. Mme Vestris était indisposée ; elle s’était trouvée mal quelques jours auparavant en jouant, et avait pensé faire interrompre le spectacle ; Mlle Dubois, la belle Dubois, à l’extrémité d’une fluxion de poitrine, avait fait ses paquets pour l’autre monde ; Mlle Sainval, troisième actrice tragique, n’était guère dans un état moins fâcheux ; et l’on craignait pour sa tête. Dans cette perplexité, nous étions menacés de ne pas voir Le Kain, et de faire la clôture de l’année théâtrale par quelque comédie bien usée, et encore plus mal jouée, lorsque Dieu excita le zèle de sa servante Luzy, et lui inspira le hardi et courageux dessein de se charger du rôle de la tendre, belle et malheureuse Aménaïde. Quand ce dessein fut connu du public, tout le monde