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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/314

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aussi simplement modeste que valeureux, de ce chevalier sans peur et sans reproche que l’histoire nous peint avec des couleurs si intéressantes, et qu’on le compare à ce fanfaron de M. de Belloy, qui s’amourache à son âge d’une petite Italienne, et a la sottise de se croire aimé quand elle a la passion la plus décidée pour un prince aussi brillant que jeune, on sent que l’auteur n’a fait que copier en grotesque l’amour sage et réservé de Coucy pour Adélaïde du Guesclin dans la tragédie de ce nom ; mais quand on voit le chevalier sans reproche faire une incartade de mousquetaire à un prince du sang de son roi, à son chef, au moment d’une bataille décisive et inévitable ; quand on voit qu’il faut que cette bataille attende que la fureur jalouse de Bayard ait été assouvie dans le sang de Gaston, ou plutôt que ce duel ait été changé en un combat de gasconnades ; quand on y ajoute tous ces crimes sans motifs, bêtement complotés et plus bêtement exécutés par Avogare et Altamore, on ne sait lequel il faut le plus prendre en compassion ou de l’auteur qui perd son temps au bousillage de ces pauvretés, ou d’un peuple qui s’en accommode. Vous demanderez comment il se peut qu’une nation qui applaudit avec transport aux vrais chefs-d’œuvre de l’art se contente en même temps de ces débris ridicules d’une lanterne magique ? C’est à la faveur de la pompe du spectacle qui charme et séduit des enfants, et surtout à la faveur de ces flagorneries intarissables pour la nation française dont toutes les scènes offrent les plus fastidieux détails. On appelle cela du patriotisme, et ceux qui n’applaudissent pas à ces pauvretés nationales sont regardés comme des cœurs froids ou comme mauvais citoyens. C’est ce patriotisme d’antichambre, comme l’appelle M. Turgot, aussi bas que puéril, auquel nous sommes réduits depuis qu’on s’industrie à affaiblir et à détruire les liens qui attachent l’homme vertueux, le citoyen généreux et libre à la patrie. Les coquins italiens veulent-ils inspirer à Gaston des soupçons contre Bayard, il leur répond :


Bayard, un traître ! lui ! vous l’osez soupçonner ?
Vous n’êtes point Français, on peut vous pardonner.


Ainsi ce n’est pas parce que le chevalier sans reproche est au-dessus du soupçon de bassesse et d’infidélité que Gaston