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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/313

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et sans Le Kain, point de salut pour Bayard ni pour aucun héros ancien ou moderne. Cet acteur sublime s’étant trouvé en état de reparaître sur la scène, il s’est chargé du rôle de Bayard, et a fait réussir la pièce de M. de Belloy, qui était cruellement tombée à la lecture. Molé a fort bien joué le rôle de Gaston, Mme Vestris celui d’Euphémie aussi bien qu’on peut jouer un rôle de sentiment et de passion dans lequel il n’y a ni sentiment ni passion ; le bon Brizard était bien mauvais dans le rôle détestable du méchant Avogare. Tout considéré, le succès a été complet et le parterre a demandé avec la plus grande vivacité l’auteur, qui n’a pas jugé à propos de se rendre à ses désirs. Je suis bien aise que M. de Belloy jouisse de la gloire et surtout des profits de ce succès, mais je suis humilié, pour notre goût, du succès de Bayard : je ne saurais nier qu’une nation éclairée, instruite, capable d’élévation, fait un tort réel à sa réputation, en souffrant, sur ses théâtres publics, la représentation de ces pompeuses fadaises. M. de Belloy est un porteur de lanterne magique qui expose une suite de figures guindées et en attitudes forcées à l’admiration d’une troupe d’enfants qui en sont tous ébahis ; on ne saurait estimer ni les enfants ébahis ni le porteur de la lanterne. Il n’y a pas le sens commun dans sa pièce. Je lui passe la discordance des vers, la faiblesse du style, qui fait que ses héros parlent toujours un galimatias inintelligible, parce que l’expression est toujours à côté de l’idée ; mais il est impossible à un homme de goût de se faire à l’absurdité des incidents, des événements et des mœurs. Si c’est là des chevaliers français, celui qui a dit qu’un Français décomposé donnait en dernière analyse un perruquier avait raison. Le même chimiste trouvait qu’un Allemand décomposé rendait en dernière analyse un caporal ; mais je crains qu’il n’ait pris son Français dans l’alambic de M. de Belloy. Celui-ci donne pour résultat de la chevalerie une jactance nationale, des flagorneries, des compliments à perte d’haleine que ses héros se renvoient avec un courage que rien n’égale ; en les quittant, vous ne direz pas « des chevaliers français », mais


Des perruquiers gascons tel est le caractère.


Quand on se rappelle un instant les traits de ce Bayard naïf,