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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/423

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sonne n’a pu lire. On avait très-bonne opinion de ce travail, annoncé et attendu depuis fort longtemps. On savait que l’auteur avait passé plusieurs années dans l’Inde sans autre vue que celle d’apprendre l’ancien persan parmi les Guèbres, afin de pouvoir nous traduire leurs livres sacrés, et nous apporter des notions exactes sur les principes religieux, les dogmes et le culte des adorateurs du feu. On sait que les Guèbres ont le privilège exclusif d’être persécutés par les mahométans, qui tolèrent d’ailleurs assez facilement toutes sortes de religions. Exterminés en Perse, ils se sont réfugiés dans l’Indostan, où la religion dominante ne les oblige pas moins à la plus grande circonspection. Ils sont donc naturellement mystérieux, cachés et défiants à l’égard des étrangers. M. Anquetil n’était pas fâché, à son retour en France, de nous assurer qu’il avait surmonté tous ces obstacles qui s’opposaient au but de son voyage, ainsi qu’une infinité de dangers physiques ; et quand on lui disait qu’apparemment il s’était fait Guèbre pour réussir dans son dessein, il souriait, et vous montrait un certain air de satisfaction d’être soupçonné de cette apostasie. Enfin, après plusieurs années d’attente, le public s’est vu en état de prononcer sur l’étendue de ses obligations envers M. Anquetil. On a jugé que si c’étaient là les livres originaux de Zoroastre, ce législateur des anciens Perses était un insigne radoteur qui, à l’exemple de ses confrères, mêlait un tas d’opinions absurdes et superstitieuses à un peu de cette morale commune qu’on trouve dans toutes les lois de la terre.

Il est évident que c’est perdre sa vie bien inutilement et bien laborieusement que d’aller à l’extrémité du globe chercher un recueil de sottises. Ce n’est pas la peine d’aller si loin ; car, Dieu merci, en fait de sottises, toutes les nations sont à peu près également en fonds. Mais ce n’est pas là le seul tort de M. Anquetil. Si vous avez la patience d’examiner son livre, vous y trouverez partout ce caractère de frivolité qui vous montre un voyageur rempli de petites préventions, de présomption et de vent, à qui il ne vous est pas possible d’accorder ni estime ni confiance ; c’est un second abbé Chappe. L’un nous entretient de ses fourrures, de son accoutrement pittoresque, de ses haltes au milieu des montagnes, de ses bals et fêtes donnés aux dames de Sibérie ; l’autre vous fait des contes tout aussi intéressants pour vous apprendre qu’il est parti avec un teint couleur de lis et de roses,