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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/436

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une emphase et avec une noblesse de style à mourir de rire. Les détails rapportés dans les Éloges d’hommes connus et célèbres sont faux ou remplis d’erreurs et de mensonges, parce que personne n’est curieux de briller ni de voir la mémoire de ses amis célébrée dans une rapsodie généralement méprisée. Ils ont fait, dans ce dernier volume, l’Éloge du marquis d’Argens, chambellan du roi de Prusse. Ils le font prisonnier des Autrichiens, quoiqu’il n’ait jamais suivi le roi son maître à la guerre, et ils rapportent à ce sujet ce qui arriva à Maupertuis, tant ils sont bien instruits. Mais vous ne vous souciez guère des bévues de ces grimauds, et vous aimerez mieux savoir comment le roi de Prusse s’y prit pour faire revenir le marquis d’Argens à Potsdam, en 1766. Il lui avait donné un congé pour aller faire un voyage en Provence, sa patrie. Sa Majesté prévoyait que le soleil de Provence aurait de puissants attraits pour son chambellan, le plus frileux de tous les hommes ; qu’il s’y acoquinerait, et qu’il aurait beaucoup de peine à se résoudre à son retour. Cela ne manqua pas d’arriver en conséquence, le roi envoya au valet de chambre du marquis d’Argens plusieurs exemplaires d’une pièce imprimée, avec ordre d’en placer un sur la cheminée de son maître. C’était un prétendu mandement de l’archevêque d’Aix contre les productions du marquis. Vous l’allez lire, et il vous prouvera que si le roi de Prusse n’avait pas rempli sa place d’homme unique en ce monde, il aurait encore trouvé moyen de briller par sa théologie et par l’onction de son éloquence sacrée parmi les prélats de l’Église gallicane. Ce morceau d’éloquence produisit l’effet que le roi en attendait : le marquis d’Argens, effrayé par ce mandement, fit ses paquets et reprit la route de Potsdam en diligence, sans confier à personne le motif véritable de ce prompt départ. Il changea de nom en traversant la France. À chaque couchée, le valet de chambre eut soin de faire donner à son maître, par l’aubergiste, un exemplaire du mandement comme pièce du jour, ce qui fit doubler le pas au marquis pour regagner un pays où le soleil n’est pas à la vérité aussi beau qu’en Provence, mais où il n’y a ni évêque ni mandement à craindre[1].

  1. Quelques méprises qui se trouvent dans l’Éloge du marquis d’Argens, que Rua, trésorier de France, neveu et héritier du marquis, fit insérer dans le Nécrologe des hommes célèbres de France, fournissent à Grimm l’occasion de traiter, un