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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/443

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chures, parce qu’après les avoir laissé traîner quelque temps sur la cheminée, on les jette sans les avoir lues : l’auteur de cet écrit périodique est un M. de Lacroix, avocat au Parlement[1]. S’il est aussi mince plaideur que mauvais écrivain, je plains ses pratiques. Cependant ce Lacroix ayant envoyé sa rapsodie à M. de Voltaire, celui-ci lui a répondu que ceux qui y travaillaient étaient les héritiers de Steele et d’Addison[2]. Ces compliments sacrilèges coûtent moins au patriarche que de lire une page du rapsodiste. Le spectateur Lacroix, après s’être paré, dans une petite annonce, de ce témoignage respectable du Nestor de la littérature pour encourager le public à souscrire, promet solennellement de renoncer à l’héritage d’Addison, que M. de Voltaire lui a si généreusement ouvert. « On ne le verra point, dit-il, comme le Spectateur anglais, sombre et taciturne ; il ne fumera point, il ne sera point forcé de boire. Il sera léger, affable ; ses discours seront plus galants que profonds. Son regard doux et tendre lira dans le cœur des femmes ; il profitera de leur émotion pour surprendre leur secret qui n’en est plus un, et il sera leur protecteur auprès des maris. Du reste, l’abbé léger, l’auguste prélat, l’officier sautillant, le militaire balafré, le jeune conseiller, le grave magistrat, le paisible rentier, et le bourgeois plaisant, trouveront également leur compte chez lui. » Voilà un échantillon du plan, du goût et du style de l’héritier de Steele et d’Addison. Ah ! seigneur patriarche, je prie la miséricorde divine de vous pardonner ce blasphème, ainsi que quelques autres de votre connaissance et de la mienne, qui vous sont échappés depuis quinze mois, au grand scandale des faibles, et pour lesquels vous serez forcé tôt ou tard de faire amende honorable. Remarquons qu’il n’est pas possible de faire jamais un Spectateur en France, à moins qu’on ne trouve le secret de réduire à la tolérance et à la modestie le genus irritabile vatum. Cette recette en vaudrait bien une autre ; mais M. de Lacroix aurait beau s’en servir, il ne ferait pas lire son Spectateur.

— L’insipide genre des héroïdes occupe toujours quelques--

  1. Le Spectateur français, pour servir de suite à celui de Marivaux, in-12, 1771. Les années 1774, 1775 et 1776, sont de J.-L. Castilhon. Celui de Marivaux comprenait, de 1722 à 1752, 2 vol.  in-12.
  2. Lettre du 22 mars 1772.