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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/447

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mont, je n’ai jamais lu que ce conte de la Belle et la Bête, qui est d’environ une vingtaine de pages. Il est écrit simplement, naïvement ; il est surtout plus intéressant qu’aucun des contes que je connaisse, sans en excepter ceux de l’Ancien et du Nouveau Testament. Sans M. Marmontel, je n’aurais jamais lu ce beau conte, je n’en aurais jamais eu connaissance, je n’aurais jamais rendu justice à Mme Le Prince de Beaumont. À quoi tiennent tous les grands événements de la vie ! Il y a, à la vérité, de savants critiques qui réclament le conte de la Belle et la Bête comme appartenant à Mme de Villeneuve ; mais je ne connais pas cette Mme de Villeneuve ; je ne veux pas avoir à partager ma reconnaissance, et je la garde tout entière à Mme Le Prince de Beaumont, qui a voulu prouver à ses enfants en Magasin, que la bonté est, à la longue, une qualité à laquelle personne ne résiste, et que, même dépourvue de beauté, elle finit par se faire aimer pour elle-même : cette morale est certainement bonne à prêcher aux enfants.

Quoique l’histoire de la Belle et la Bête ne soit au fond qu’un conte à bercer les enfants, il y avait dans ce conte de quoi enchanter, intéresser, faire fondre en larmes tout Paris, parce qu’il est plein de naïveté et d’intérêt ; mais M. Marmontel est froid ; il n’a point de sentiment ; il n’entend point le théâtre, et sa pièce se ressent de tous ces vices. Aussi n’a-t-elle pas soutenu le succès brillant de sa première journée, les applaudissements ont diminué de représentation en représentation ; et quoiqu’on s’y porte encore en foule, on ne laisse pas d’en dire beaucoup de mal. Le grand malheur de cette pièce, c’est de manquer d’effet ; rien n’est à sa place, l’exposition se fait au troisième acte ; il ne s’agissait pas de suivre le conte platement pas à pas, il fallait se le rendre propre, le concevoir, pour ainsi dire, et en accoucher de nouveau. Si M. Sedaine avait eu à traiter ce sujet, il y a à parier qu’il n’aurait pas permis au décorateur de remplir de rosiers tout le salon du palais enchanté. Quelle bêtise ! Il n’en fallait qu’un. Il aurait peut-être commencé la pièce, comme M. Marmontel, par l’orage ; mais au milieu du bruit excité par le vent, la pluie et le tonnerre, il nous aurait premièrement montré la Bête, elle aurait examiné le rosier ; vraisemblablement elle aurait dit : On n’a pas encore touché à ces roses… et aurait passé car il était essentiel de fixer nos