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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/448

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yeux dès le commencement sur ce rosier, puisqu’une rose cueillie devait décider du sort de tous les acteurs de la pièce. Mais nos merveilleux ne déroberont donc jamais à Sedaine son secret ? Le rôle de Sander est ce qu’il y a de plus mauvais dans cette pièce ; aussi le charmant Caillot n’a jamais pu en faire quelque chose. La seule scène où le poëte m’ait fait vraiment plaisir, c’est lorsque la Bête s’offre pour la première fois aux regards de la Belle ; la frayeur de Zémire est extrême, et Mme Laruette joue cette scène à merveille. Je trouve un autre mot charmant dans son rôle, quoiqu’il soit à peine remarqué par le parterre. La Bête lui propose, pour s’amuser dans son palais, la culture des arts, des jardins, des fleurs. Ah ! des fleurs ! s’écrie Zémire. Cela est si naturel dans la bouche d’une jeune personne qui n’est malheureuse que parce que son père a cueilli une rose.

Vous me demanderez des nouvelles de la musique, mais comment, au sortir de l’Opéra de Manheim, serais-je en état de juger de l’Opéra-Comique de la rue Mauconseil ? Zémire et Azor de M. Grétry ne ressemble en aucune manière au Catone in Utica del Niccolo Piccini ; il n’y a aucune sorte d’analogie entre la manière de chanter de M. Clairval et la méthode sublime d’Antonio Raaf ; je doute que Mme Laruette ait jamais le gosier et les accents de la jeune Danzi que j’ai vue débuter à Manheim, et qui deviendra un des plus grands sujets de l’Europe si elle est capable d’étude et d’application et si elle tombe entre les mains d’un bon maître. Il me faudra bien six semaines pour oublier les divins accents de Raaf, lorsqu’il chante :


Per darvi alcun pegno
D’affeto, il mio core
Vi lascia uno sdegno,
Vi lascia un amore,
Ma degno di voi,
Ma degno di me ;


et pour me raccoutumer à entendre chevroter doucereusement le charmant Clairval :


Ah ! quel tourment d’être sensible,
D’avoir un cœur fait pour l’amour,
Sans que jamais il soit possible
De se voir aimer à son tour.