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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/469

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— Le ballet des Diables ayant manqué ces jours passés dans Castor et Pollux, à l’Opéra, et messieurs les diables dansant tout de travers, Mme Arnould disait qu’ils étaient si troublés par l’arrivée de M. le duc de La Vauguyon, que la tête leur en pétait. M. de Buzençais et le prince de Nassau, qui n’est pas reconnu en Allemagne, s’étant battus depuis peu, on disait, devant Sophie Arnould, que le premier avait fait beaucoup de façons avant de s’y déterminer, et que c’était d’autant plus singulier qu’il passait pour savoir bien manier l’épée. C’est que, répondit Sophie, les grands talents se font toujours prier. Après le déplacement de M. le duc de Choiseul, on fit des tabatières où il y avait d’un côté le buste du duc de Sully, ministre de Henri IV, et de l’autre celui du duc de Choiseul. C’est bien, dit Sophie en voyant une de ces boîtes, on a mis la Recette et la Dépense ensemble.

— Un jeune peintre appelé Touzet[1], élève de l’Académie, vient de faire un dessin qui représente le tableau magique de Zémire et Azor tel qu’on le voit sur le théâtre de la Comédie-Italienne. Ce Touzet est célèbre à Paris, depuis quelques années, par le talent d’imiter et de contrefaire, qu’il possède au suprême degré. Non-seulement il contrefait toute sorte de personnages et de caractères avec une perfection qui ne laisse rien à désirer, mais il imite encore à lui tout seul une collection de bruits et de phénomènes physiques. On le place au milieu d’un salon, derrière un paravent, et l’on entend tout un essaim de religieuses qui vont à matines on les entend se lever, se réunir, descendre des corridors dans l’église, chanter l’office, faire la procession, rentrer dans le couvent et se disperser dans leurs cellules. On distingue l’âge, le caractère, l’humeur, les infirmités de chacune de ces nonnes ; on se croit transporté au milieu d’un couvent. La matinée de village, le dimanche, est encore plus surprenante : on se trouve transporté dans l’intérieur d’un ménage rustique ; on assiste au lever du ménager et de la ménagère, à leurs fonctions matinales on les accompagne à l’écurie, à la basse-cour, dans la rue, à la messe ; on entend le sermon ; on le suit dans le presbytère ; on devine le caractère du curé, de sa gouvernante, de son chien même, qui ne

  1. Grimm a déjà parlé de Touzet et de son talent d’imitation, p. 262.