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Ainsi, dans l’Inde, la neige n’est nullement inconnue. Mais, ce qui n’est pas moins certain et ce que vous feront observer les indianistes, c’est que jamais, dans l’Inde, le teint d’un visage humain n’est, à titre d’éloge, comparé à la couleur blanche de la neige. Cela n’est pas étonnant : personne, dans l’Inde, n’a le teint absolument blanc, et, quand les poètes hindous décrivent complaisamment l’effet des joyaux variés au col ou aux bras des belles, et qu’ils signalent le contraste entre la teinte de la peau et celle des gemmes, il est toujours question de tons bruns, dorés, bleuâtres quelquefois, voire noirs, jamais blancs[1].

Dans l’Inde, on ne peut donc s’attendre à voir formulée cette « comparaison de la beauté avec la neige et le sang », dont parle Jacques Grimm. Il est vrai, — et nous l’avons déjà fait remarquer, — que cette comparaison, prétendue « monnaie courante chez les poètes de tous les peuples », on ne la rencontre, en fait, ni chez les poètes, ni chez les prosateurs, ni dans l’usage vulgaire d’aucun pays. Les contes où elle figure, la présentent comme étant imaginée tout d’un coup, dans une occasion particulière, par le héros, qui a ensuite beaucoup de peine à en trouver la réalisation vivante.

Mais nous ne sommes pas encore entré assez avant dans l’intime du sujet.

Pour qu’on ait pu, au pays d’origine, créer dans un récit cette comparaison du teint d’un visage humain avec le sang et la neige, il a fallu, ce nous semble, deux choses :
— 1° Naturellement que l’on connût la neige ;
— 2° Que l’on eût l’idée d’un teint qui pût entrer en comparaison avec la neige.

Voyons ce qu’il en est de l’Inde, sous ce double rapport.

La neige, l’Inde la connaît. Quant à l’idée d’un teint blanc, très blanc, il faut citer une fort intéressante et suggestive observation de Mme Stokes, femme du célèbre celtisant Whitley Stokes, lequel fut, de 1864 à 1882, fonctionnaire britannique dans l’Inde. En 1879, à Calcutta, dans les notes ajoutées par elle au très curieux recueil de contes indiens formé par sa toute jeune fille, miss Maive Stokes, elle écrivait ceci (p. 238) : « C’est une chose singulière

  1. Communication de M. Lacôte.