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LE SÉRUM QUI TUE

peur de moi. Pourquoi ? je ne vous veux pas de mal. Je vous aime tant Andrée. (Il se met à genoux devant elle.) Oui ! je vous adore et je vous veux. Vous ne pouvez pas résister à cet amour ! Votre cœur est trop empreint de ma passion pour que vous refusiez d’accorder à celui qui vous aime ce qu’il désire de vous : un peu de votre amour. Andrée ! Andrée ! s’il fallait que vous résistiez à cet amour, j’en deviendrais fou. Fou ! oui, fou ! Je sens que mon cerveau s’égare, la fièvre me brûle, ma tête vacille. (Il se relève et arpente la pièce à grands pas.) Fou ! je sens que je vais le devenir. Mes nerfs sont à bout. Ces visions qui m’entourent, qui me poursuivent nuit et jour, s’emparent lentement de ma raison. Je ne serai plus qu’une loque bientôt et ç’aura été de votre faute ! (il la regarde et tend les bras vers elle.) Vous êtes mon seul remède. Vous seule pouvez me guérir. Vous ne serez pas assez cruelle pour me refuser l’élixir qui guérira mon cerveau égaré. Andrée ! je vous veux, je vous désire, je vais vous prendre… (il se dirige vers elle, pelotonnée dans son fauteuil, toute tremblante, à demi morte de frayeur. Il va la prendre, mais il s’arrête. La folie n’est pas encore complète en lui.) Qu’allais-je faire. Ah ! Andrée si vous saviez comme je souffre vous me pardonneriez. Je sens à des moments un marteau qui martèle ma tête et qui me rend aveugle. Je ne sais plus ce que je fais. Un peu d’air ! Un peu d’air me ferait du bien. (Il se dirige vers la fenêtre qu’il ouvre. À ce moment un coup de tonnerre violent, terrible, qui fait trembler la montagne, au milieu d’un éclair fulgurant, se fait entendre. Le docteur fait un bond en arrière.) Ah ! Aaaaah ! j’ai peur ! Ce tonnerre me rend fou ! Ah ! Andrée, protégez-moi. (Il se dirige vers elle et la regarde.) Vous êtes encore là. Vous allez me protéger. J’ai peur. Bercez-moi dans vos bras comme maman le faisait quand j’étais tout petit. Ayez pitié de moi. Non, vous ne voulez pas ? Eh ! bien je vous aurai quand même Andrée ! Oui ! moi, moi, l’assassin ! moi qui ai tué ma femme pour vous, je vous aurai quand même. Je vais vous prendre et immédiatement. (Il se dirige vers elle les bras tendus, les doigts crispés.) M’entendez-vous, je vais vous prendre, je vous ai, je vous tiens, mon bonheur sera sublime. Je serai guéri. (Il la prend dans ses bras et la lève de son fauteuil.) Ah ! je vous ai, enfin, enfin ! mon bonheur est trop grand…

(Andrée a réussi à s’arracher de ses bras et une courte lutte s’ensuit. Le docteur s’accroche à la robe d’Andrée, qu’il déchire, il veut la prendre dans ses bras mais elle lutte désespérément en poussant des petits cris de frayeur.) Andrée ! je vous aime ! je vous adore ! oh ! laissez-moi faire ! laissez-moi vous aimer ! Je serai guéri, Andrée ! je ser…

(À ce moment René entre et aperçoit avec stupeur cette scène de sa femme luttant contre le docteur. En le voyant, le docteur s’arrête subitement, l’air hagard, hébété. René se précipite et arrache Andrée des bras du docteur.)

RENÉ : — Misérable !

JACQUES : (Il éclate de rire.) Aaaah ! Aaaah ! Aaaah ! (Un rire lugubre, qui sonne mal et qui dénote la folie du docteur. Il s’assied et prend une feuille de papier, commençant à la déchirer en tout petit morceaux qu’il ramasse soigneusement. René qui allait se jeter sur lui est surpris par cette scène et regarde sa femme d’un air interrogateur.)

ANDRÉE : — Oui, cet homme est fou. Complètement fou. Ce fut un grand misérable. Avant notre mariage, il m’avait connu à un bal, ignorant l’amour qui existait entre nous. Il s’était amouraché de moi et m’avait fait des propositions que je repoussai en lui déclarant que j’étais ta fiancée. Cela ne l’arrêta pas et il continua de m’importuner. Un jour, il alla jusqu’à tuer sa femme, notre chère Cécile, pour être libre, croyant qu’il pourrait ainsi m’obtenir. Je découvris l’horrible secret et lui crachai mon mépris. Je voulus le dénoncer, mais il me mit en garde, disant que s’il en était ainsi, il crierait partout que c’était pour moi qu’il avait fait cela et ainsi notre mariage serait brisé. Je ne pus résister devant notre amour et demeurai muette. Puis vint notre mariage et nos instants de bonheur. Et le voilà qui revient sur ton invitation. Il m’a crié encore son amour, son horrible amour, et est devenu subitement fou, fou par le remord, fou de passion. Cet orage qui s’éloigne fut le grand coup qui déchaîna sa folie. Il voulut me prendre et une lutte s’en est suivie. Heureusement que tu es survenu sur les entrefaites car je ne sais ce qui serait arrivé.

RENÉ : — Mais pourquoi ne me disais-tu pas cela auparavant ?

ANDRÉE : — Le pouvais-je, Jacques ? Cela t’aurait causé du trouble et de la peine inutilement. Je croyais ne jamais le revoir…