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la confédération helvétique

ger[1]. Enfin la population sédentaire, de tendances conservatrices, s’habituait peu à peu aux devoirs qu’implique le privilège de la « neutralité » : c’étaient là les éléments dominants de l’évolution helvétique. La neutralité recevait des entorses ; l’important toutefois était que les Suisses n’y manquassent pas eux-mêmes. Pendant la guerre de trente ans, les protestants enthousiasmés par les exploits de Gustave-Adolphe s’étaient sentis près d’y renoncer ; et de même les catholiques sous Louis XIV mais la sage réflexion l’avait emporté sur la passion imprudente. Ainsi se fortifiait au dedans cette communauté inachevée dont la façade, de style hybride, présentait aux regards d’inquiétantes lézardes.

Le voisinage de la révolution française et, plus tard, l’action coercitive de Bonaparte ne parvinrent pas à transformer l’édifice. On lui donna vainement un aspect artificiel d’État unifié. L’esprit et les habitudes engendrés par l’autonomie cantonale subsistaient. Quand la paix eut été rétablie en Europe, la confédération sortit de cette longue crise en voie d’organisation définitive. Avec ses vingt-deux cantons et sa neutralité confirmée, elle allait pouvoir fonctionner pour autant toutefois que chaque citoyen s’entrainât consciencieusement à la pratique de ce patriotisme à deux étages — cantonal et fédéral — qui réclame de l’attention quotidienne et de l’abnégation diluée. Les Américains en faisaient en même temps l’expérience mais sur une grande échelle et dans des conditions d’isolement qui la leur facilitaient singulièrement. Placée au centre d’une Europe encore incompréhensive à l’égard de cette superposition possible de sentiments et d’intérêts, la petite Suisse ne jouissait pas des mêmes avantages. L’atmosphère continentale, de plus, était peu propice. La réaction dominait parmi les gouvernants des différents pays tandis que les milieux progressistes manifestaient parfois une effervescence dont on ne savait pas si elle pourrait, le cas échéant, être maîtrisée ou canalisée. Rendus méfiants par l’expérience, les Suisses redoutaient d’être à nouveau mêlés aux événements extérieurs et entraînés dans l’orbite des grandes puissances[2]. Cet état d’esprit leur fut salutaire,

  1. En plusieurs pays d’Europe mais surtout en France. Pendant les guerres de Louis XV, il y eut jusqu’à 80.000 soldats suisses en service dans les armées françaises. Louis XVI en 1777 renouvela les contrats.
  2. Les puissances européennes avaient à maintes reprises traité les cantons comme leur domaine. Au congrès de Vienne, affectant d’ignorer la Suisse et de