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l’axe autour duquel elle évolue. Cet axe a été forgé par le labeur opiniâtre et persévérant du peuple suisse tout entier.

Au xviime siècle, après deux cents ans d’indépendance réelle et plus de cinquante ans d’indépendance de droit, il semblait pourtant que le « louable corps helvétique » fut près d’entrer en dissolution. Cette formule même, employée par la chancellerie française, évoquait quelque chose d’amorphe et d’inconsistant. Lorsqu’aux temps héroïques, entre Sempach (1386) et Morat (1476), l’élément urbain et l’élément rural s’étaient unis pour la conquête de la liberté et avaient fait reculer les soldats d’Autriche et de Bourgogne, l’établissement d’une confédération définitive était apparu comme la réalisation prochaine d’un état de choses nécessaire. Maintenant ces temps étaient loin. Les aristocraties marchandes de Bâle et de Zurich et l’aristocratie militaire de Berne étaient-elles vraiment aptes à s’associer ? L’esprit seigneurial de Lucerne, de Fribourg ou de Soleure pouvait-il collaborer avec la simplicité persistante des cantons alpestres ? Il existait bien une organisation fédérative mais d’aspect impuissant et désuet. Une ou deux fois par an s’assemblaient des diètes fédérales que paralysait le plus souvent l’absolutisme de la souveraineté cantonale. Saint-Gall, Bienne, Mulhouse et le Valais, pays « alliés » y envoyaient des délégués. Chaque canton avait droit à deux représentants. Zurich présidait. Étaient encore réputés membres à des degrés divers du « corps helvétique » : le duché de Milan, la Franche-comté, certaines villes impériales du Rhin, les ligues des Grisons, la principauté de Neuchâtel que les guerres européennes allaient faire passer à la maison de Prusse, la république de Genève toujours un peu en marge de la vie commune ; enfin les pays « sujets» : l’Argovie, la Thurgovie, le Tessin, Vaud, la Valteline. Sur toute cette complexité les querelles religieuses avaient déversé un surcroit de tendances au désaccord. Zurich et Genève, centres d’attraction des réformés de langue française et de langue allemande étaient séparées par le bloc des cantons demeurés catholiques ; dès 1656 une guerre civile avait éclaté ; l’intervention des Bâlois avait rétabli la paix.

Et malgré que des germes de division fussent ainsi partout visibles, l’unité progressait. On ne la cherchait plus dans les institutions mais la pensée, inconsciemment, visait à la créer. Un grand essor intellectuel soulevait l’élite. D’autre part les énergies physiques nécessaires à la fondation d’une nation étaient entretenues par les contingents qui servaient à l’étran-